Une double dose de langue de bois dans la communication d'un Etat n'a rien de nouveau. Surtout quand il s'agit d'une grande puissance comme la Chine, qui a pour ambition de maîtriser le monde en commençant par maîtriser son discours. Mais il y a de quoi s'arracher les cheveux devant son entêtement à cultiver les zones d'ombre sur le début de la pandémie de Covid-19.
La possibilité d'une fuite de laboratoire, présentée dans un premier temps comme étant improbable, est considérée depuis plusieurs mois avec sérieux par les scientifiques. L'Institut de virologie de Wuhan (IVW), en Chine, est particulièrement visé. Et ce, pour trois raisons principales:
Or, la grande puissance n'accepte toujours pas de livrer certaines informations, pourtant jugées cruciales pour déterminer l'origine du Covid. Il s'agit notamment de données sur certains génomes de virus très proches du SARS-CoV-2, qui pourraient avoir été manipulés en laboratoire.
La directrice de l'IVW, Shi Zheng Li, assure qu'aucun gain de fonction n'a été réalisé sur ces coronavirus de chauve-souris. Problème: il faut la croire sur parole. Car les infos brutes sur ces virus – étudiés par l'institut depuis... septembre 2019 – ne sont plus disponibles, ayant été retirées de la base de données après le début de la pandémie. L'explication officielle? L'IVW aurait été victime de cyberattaques.
C'est dans ce contexte que l'OMS a demandé, en juillet dernier, à l'Empire du Milieu de pouvoir mener des recherches détaillées dans les laboratoires de Wuhan. Requête que la Chine a sèchement refusée, y voyant un «manque de respect pour le bon sens et une arrogance envers la science».
Une arrogance envers la science? C'est cette déclaration qui heurte le bon sens. Certes, si la Chine n'a rien à camoufler, elle ne peut pas donner les preuves de quelque chose qui n'existe pas. Mais avec une transparence totale, elle pourrait démontrer par l'absurde que la thèse d'une fuite de laboratoire n'est pas la bonne.
Il est justement absurde qu'elle ne le fasse pas. D'autant qu'après une réelle coopération, la Chine serait plus légitime à pointer du doigt le laboratoire Fort Detrick, non loin de Washington, sur lequel elle jette publiquement ses soupçons depuis quelques semaines, en mode «c'est celui qui le dit qui l'est».
Il faut bien voir que la Chine joue là une carte purement politique. La défense des intérêts nationaux est primordiale pour cette puissance qui tient à sa souveraineté en toutes circonstances. De l'avis des experts, son discours sur l'origine du Covid s'inscrit même dans une volonté de resserrer les rangs du parti unique autour d'un récit positif pour la Chine. Le parti guettant avec méfiance la nouvelle génération, plus critique.
Cela étant dit, il serait naïf de croire que la Chine est le seul pays à prendre cette attitude-là. Les Etats-Unis, qui ont riposté violemment à la réaction chinoise, la jugeant «irresponsable», ont tout autant intérêt politiquement à jouer les défenseurs de la science et de la raison contre une idéologie qui n'hésiterait pas à cacher la réalité. L'Etat américain, en plein bras de fer avec la Chine, compte rester la première puissance politique et économique du monde.
La Chine demandant à l'OMS et aux Etats-Unis d'adopter une démarche purement scientifique, ou l'OMS et les Etats-Unis le demandant à la Chine, c'est du spectacle de marionnettes. Si manifeste qu'il en devient indigeste dans un contexte où le monde entier souffre d'une crise sanitaire devenue économique et politique. Seulement, l'existence d'une rhétorique d'influence n'empêche en rien l'existence de faits. Reste à les établir. Et ce n'est pas une mince affaire.