En mars 2018, la terre s’est brusquement ouverte près du volcan Suswa, au Kenya: une crevasse de quinze mètres de profondeur, vingt mètres de large et trois kilomètres de long s’est formée.
Des habitants ont dû quitter leur domicile, et la route principale de Mai-Mahiu–Narok, très fréquentée, a été gravement endommagée. Ce gouffre spectaculaire n’est qu’un exemple parmi d’autres: ces dernières années, des fissures, ou «rifts», similaires, sont apparus dans plusieurs pays d’Afrique de l’Est. En Ethiopie, l’une d’elles s’étend désormais sur 60 kilomètres, atteignant parfois une profondeur de dix mètres dans le sol désertique.
A crack that opened up in Kenya’s Rift Valley, damaging a section of the Narok-Nairobi highway, is still growing... pic.twitter.com/T5YocDauYj
— BBC (@BBC) March 26, 2018
Ces fractures sont les signes avant-coureurs d’une transformation géologique majeure: une plaque tectonique est en train de se détacher de la plaque africaine. La fissure est-africaine, ou Great Rift Valley, est au cœur de ce bouleversement.
Elle s’étire du Mozambique à la mer Rouge, sur quelque 6 000 kilomètres, avec une largeur variant de 30 à 100 kilomètres. Par endroits, elle ne mesure que quelques centaines de mètres de profondeur, ailleurs plusieurs kilomètres.
C’est le long de cette gigantesque faille que le continent africain est en train de se fracturer. La plaque somalienne, en formation, dérive vers l’est, tandis que la plaque africaine glisse vers l’ouest.
La géologue poursuit en expliquant:
Mais qu’est-ce qui provoque un tel phénomène? En profondeur, dans le manteau terrestre, un immense courant de magma circule sous la fissure, des confins de l’Afrique australe jusqu’à la péninsule arabique. Selon les géologues, ce courant alimente régulièrement la surface en magma. Celui-ci exerce une pression vers le haut, faisant gonfler et amincir la croûte terrestre, jusqu’à provoquer sa rupture, un processus décrit par la géologue Lucía Pérez Díaz de la Royal Holloway University of London.
Lorsque la croûte cède, l’eau finit par s’infiltrer dans les failles. Un nouvel océan pourrait alors se former, bouleversant profondément la géographie de l’Afrique. Des pays enclavés, comme la Zambie ou l’Ouganda, pourraient se retrouver dans le futur avec des côtes maritimes. Une vaste île pourrait émerger dans l’océan Indien, constituée de portions de l’actuelle Ethiopie et de la Somalie.
Le Nil lui-même pourrait changer de cours: un nouveau bras pourrait jaillir en amont pour se jeter dans l’océan Indien, plutôt que de poursuivre son cours vers la Méditerranée.
Selon les scientifiques, les plaques africaine et somalienne s’éloignent actuellement à un rythme d’environ 0,8 centimètre par an. Jusqu’à récemment, on pensait que ce processus de séparation s’étendrait sur 20 à 60 millions d’années. Mais de nouvelles estimations avancent un horizon bien plus proche. C'est ce que Cynthia Ebinger, géophysicienne à l’Université Tulane affirme:
Des évènements sismiques majeurs, comme les tremblements de terre, pourraient même accélérer encore ce processus. Mais leur prévision demeure très difficile, souligne la chercheuse.
A l’échelle d’une vie humaine, 500 000 à un million d’années semblent une éternité. Mais en géologie, c’est le temps d'un claquement de doigts. La mer Rouge s’est formée de manière similaire il y a environ 25 millions d’années, un âge relativement jeune dans l’histoire de la Terre. Elle est née de la séparation entre les plaques africaine et asiatique, qui a créé un vide progressivement envahi par les eaux. Et ce bras de mer continue, encore aujourd’hui, de s’élargir chaque année.
Traduit et adapté de l'allemand par Tanja Maeder