Dans toute guerre, il y a des développements qui, à première vue, n'ont pas de sens. Il peut ainsi arriver que deux parties qui s'affrontent sur le champ de bataille continuent à faire des affaires ensemble. Dans le cas de la guerre en Ukraine, cela concerne la livraison de gaz naturel en provenance de Russie, via le gazoduc Transgas qui traverse le pays attaqué.
Le volume a été considérablement réduit ces derniers mois, car l'Ukraine n'accepte plus d'afflux par le tracé sud, qui traverse la région de Louhansk, occupée par la Russie. Elle exige que l'approvisionnement ne se fasse plus que par le tracé nord à travers la région de Soumy, contrôlée par l'Ukraine. Le conflit menace désormais de s'envenimer.
Mais le gaz circule encore, ce qui est remarquable au vu des fuites dans les deux gazoducs Nord Stream, très probablement dues à des actes de sabotage. Les soupçons se portent sur la Russie. Bien qu'aucun gaz n'ait circulé récemment dans les tubes de la mer Baltique, Moscou pourrait tenter d'attiser en Europe la crainte d'une crise énergétique cet hiver.
Pour l'instant, il s'agit d'une pure spéculation et le transit par l'Ukraine continue de fonctionner. Selon la NZZ, il repose sur «une dépendance de plusieurs décennies». La construction du gazoduc Transgas à travers l'Union soviétique a commencé dans les années 1960. Il traverse la Slovaquie et la République tchèque pour rejoindre l'Allemagne et l'Autriche.
Même après la dissolution de l'Union soviétique, il est resté «l'artère vitale» des livraisons de gaz russe à l'Ouest. Mais depuis quelque temps, les tensions se sont multipliées. Après la «révolution orange» à Kiev en 2004, le groupe Gazprom a soudainement exigé du gouvernement ukrainien des «prix du marché mondial» au lieu de l'ancien tarif préférentiel.
Début 2006, l'approvisionnement a été interrompu. Toutefois, le gaz destiné au reste de l'Europe a continué à transiter par l'Ukraine, qui en a détourné une partie pour elle-même. Finalement, un contrat a été signé dans lequel Kiev acceptait les augmentations de prix et pouvait en contrepartie obtenir un tarif plus élevé pour le transit de gaz.
Mais le conflit n'a jamais été réglé. Vladimir Poutine a continué à essayer de faire pression sur l'Ukraine avec «l'arme du gaz». Sans succès. En 2017, un tribunal d'arbitrage en Suède a condamné la Russie à payer 2,5 milliards de dollars. Fin 2019, Gazprom et le groupe ukrainien Naftohas ont signé un nouveau contrat de livraison.
Dans le même temps, la Russie a tenté de contourner l'Ukraine pour le transit du gaz, avec Nord Stream 1 et 2 et le gazoduc TurkStream, ouvert en 2020, à travers la mer Noire. L'Ukraine a suivi cette évolution avec mécontentement. Elle risquait de perdre des revenus, raison pour laquelle elle est également soupçonnée d'être à l'origine des fuites de Nord Stream.
Mais le gazoduc semble encore être indispensable à la Russie. Car malgré les attaques massives contre l'infrastructure ukrainienne, les conduites n'ont pas été détruites jusqu'à présent. Le patron de Naftohas, Yuriy Vitrenko, avait une explication simple à cela lors d'une interview avec le RedaktionsNetzwerk Deutschland (RND) en mai:
La Russie a toutefois fortement réduit les livraisons. Les frais de transit sont également retenus. Naftohas a donc porté plainte début septembre pour violation du contrat de livraison de 2019. Celui-ci a été conclu selon le droit suédois et le lieu de juridiction a été fixé à Zurich. Mercredi, Gazprom a rejeté les accusations.
L'Ukraine ne respecte pas ses obligations de transit, indique le communiqué en faisant référence au «blocage» de la ligne sud. En outre, la Suède et la Suisse seraient considérées par le gouvernement russe comme des «pays inamicaux». Gazprom a menacé de prendre des sanctions contre Naftohas, dont un arrêt des livraisons.
Le chef du groupe Vitrenko s'en accommoderait. Dans un entretien accordé au quotidien allemand RND, il a soutenu un embargo occidental sur le gaz et le pétrole à l'encontre de la Russie:
Après le sabotage en mer Baltique, un arrêt des livraisons par l'Ukraine provoquerait probablement des troubles supplémentaires et des hausses de prix sur le marché du gaz. Les efforts de l'Occident pour s'affranchir du gaz russe sont donc d'autant plus importants.
Traduit de l'allemand par Tanja Maeder