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Boualem Sansal et Christophe Gleizes condamnés par l'Algérie

Boualem Sansal (g.) et le journaliste Christophe Gleizes.
Boualem Sansal (g.) et le journaliste Christophe Gleizes.image: afp et capture
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A quoi joue le régime algérien? Deux condamnations qui sidèrent

Alors que la condamnation de Boualem Sansal à 5 ans de prison est confirmée en appel, l'Algérie condamne à 7 ans ferme le journaliste sportif français Christophe Gleizes. Alger, qui veut se faire respecter sur la scène internationale et face à la France, ne semble pouvoir compter que sur son appareil répressif, donnant l'impression d'une dérive paranoïaque. A l'iranienne?
01.07.2025, 12:2801.07.2025, 23:57
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Christophe Gleizes est-il une «prise» de plus de l’Etat algérien dans sa relation houleuse avec la France? Ce journaliste sportif indépendant de 36 ans, collaborateur des magazines So Foot et Society, a été condamné dimanche en première instance à une peine de sept ans de prison ferme par le tribunal de Tizi Ouzou, en Kabylie, pour «apologie du terrorisme» et «possession de publications dans un but de propagande nuisant à l’intérêt national».

Arrêté le 28 mai 2024, Christophe Gleizes, de nationalité française, avait été placé sous contrôle judiciaire dans l’attente de son procès, avec interdiction de quitter le territoire algérien. Son avocat algérien a déclaré qu’il allait faire appel de cette condamnation.

Boualem Sansal: l'épreuve

Les charges retenues contre Christophe Gleizes ont un effet coup de massue. Son cas, jusqu'ici tenu dans un surprenant silence médiatique, ressemble à celui de Boualem Sansal, arrêté le 16 novembre dernier à Alger à sa descente d'avion. Agé de 80 ans, atteint d'un cancer, l’écrivain franco-algérien, dont on a appris ce mardi la confirmation en appel de sa condamnation à 5 ans de prison, était lui aussi accusé des choses les plus graves: «atteinte à l’unité nationale», «outrage à corps constitué», «pratiques de nature à nuire à l’économie nationale» et «détention de vidéos et de publications menaçant la sécurité et la stabilité du pays».

On pense ici au mot du cardinal de Richelieu, le ministre de Louis XIII:

«Qu'on me donne six lignes écrites de la main du plus honnête homme, j'y trouverai de quoi le faire pendre»
La cardinal de Richelieu

La justice algérienne reproche au journaliste indépendant des entretiens, entre 2015 et 2017, avec un dirigeant du club de football de Tizi Ouzou, qui est également un des responsables du Mouvement pour l’autodétermination de la Kabylie (MAK), classé en 2021 comme organisation terroriste par les autorités algériennes.

Christophe Gleizes s’est rendu en Algérie en mai 2024 pour effectuer un reportage sur les heures de gloire, dans les années 1980, du club local, la Jeunesse sportive de Kabylie (JSK), indique So Foot sur son site. Dans cette optique, il voulait couvrir les commémorations de la mort du footballeur camerounais Albert Ebossé, décédé dix ans plus tôt, «dans des circonstances troubles», précise Le Monde de son côté.

Il était également envoyé par So Foot pour interviewer l’entraîneur du Mouloudia Club d’Alger Patrice Beaumelle et faire un portrait du footballeur Salah Djebaïli, assassinée en 1994 par la mouvance islamiste, durant la «décennie noire», nom donnée à la guerre civile algérienne.

On marche sur des œufs

Le fondateur des magazines à succès So Foot et Society, Franck Annese, a réagi à la condamnation du journaliste pigiste, soutenu, entre autres, par Reporters sans frontières:

«Le travail de Christophe ne peut être remis en cause. Cette décision est totalement injuste. Il est important que tout soit mis en œuvre, y compris politiquement et diplomatiquement pour que la justice l’emporte et que Christophe puisse retrouver ses proches et sa rédaction. »
Franck Annese

Dans ce type d’affaire, où le condamné est à la merci d’un Etat étranger, tout le monde, parmi les proches et chez les diplomates, marche sur des œufs. Le communiqué rédigé par l’Association française des grands reporters et correspondants (AFGRC), une structure toute fraîche, créée début juin, met les pieds dans le plat. A propos de Christophe Gleizes, l’AFGRC écrit:

«Son seul tort? Etre journaliste dans un pays qui emprisonne nos confrères, devenus les variables d’ajustement des tensions entre le gouvernement algérien et la France»
Communiqué de l’AFGRC

S'agissant des contacts du journaliste avec un dirigeant de football lié au MAK, l’AFGRC rappelle qu’ils avaient été pris plusieurs années avant que ce mouvement autonomiste kabyle ne soit classé terroriste par Alger. Sur son compte X, le vice-président de l’AFGRC, Benjamin Sire, journaliste et musicien, auteur en 2022 d’une version russe de la chanson de Boris Vian Le Déserteur, dont watson avait rendu compte dans un article, écrit: «J'ai travaillé avec le super Christophe. Un putain de vrai journaliste. C'est un cauchemar. Mobilisons-nous.»

Notre article de 2022 sur la version russe du Déserteur👇

Christophe Gleize est l'auteur de Magique système. L'esclavage moderne des footballeurs africains, un livre de portraits paru en 2018 aux éditions Marabout. Joint par watson, Benjamin Sire dit de lui:

«C'est un conteur d'histoires à hauteur d'homme»
Benjamin Sire

La lourde condamnation de Christophe Gleizes prend place dans la relation fortement dégradée entre Alger et Paris, depuis qu’en juillet dernier Emmanuel Macron a reconnu la marocanité du Sahara occidental, grande cause tiers-moniste de l’Algérie, qui entend rester le phare du décolonialisme qu’elle a été après l’indépendance de 1962, et qui, au passage, n'a jamais reconnu Israël.

Une forme de paranoïa

Le président algérien Abdelmadjid Tebboune semble vouloir faire payer à la France à son homologue français sa décision sur le Sahara occidental. Les arrestations et condamnations, pour des motifs pouvant paraître grandiloquents, de Boualem Sansal et Christophe Gleizes, sont une manière de chercher à peser sur Paris, mais aussi de montrer à la France que l'Algérie entend «se faire respecter». Au-delà de ces questions liées à l'honneur, ces décisions judiciaires sont une mise en garde adressée à l'opposition algérienne de l'intérieur.

Une forme de paranoïa s'est saisie de certains commentateurs nationalistes algériens, qui s'imaginent que leur pays sera la prochaine cible d'Israël, après des menaces en ce sens exprimées sur son compte X par un certain Meir Masri, un Israélien qui se présente comme «docteur en géopolitique, maître de conférences à l'Université hébraïque et réserviste militaire».

«Otages» français en Iran et en Algérie?

La comparaison avec l'Iran en tout cas s'impose à propos des condamnations de Boualem Sansal et Christophe Gleizes, transformés par l'Algérie en monnaies d'échange. Toutes proportions gardées, cette situation rappelle celle des deux «otages français», comme les nomme le gouvernement français, Cécile Kohler et Jacques Paris, retenus prisonniers en Iran.

En confirmant en appel la condamnation à 5 ans ferme de Boualem Sansal, la justice algérienne envoie le message qu'elle ne plie pas face à la pression internationale. Le premier ministre français François Bayrou dit espérer à présent dans une grâce du président d'Abdelmadjid Tebboune. Qui pourrait intervenir le 5 juillet, à l'occasion de la fête de l'Indépendance algérienne.

Delogu à la télévision algérienne: le contraste

Ces affaires diplomatico-judiciaires contrastent fortement avec la prestation du député Insoumis de Marseille Sébastien Delogu le 30 juin sur une chaîne publique algérienne. On avait l'impression d'un exercice de flagornerie – l'élu marseillais est un potentiel candidat à la maire de Marseille l'an prochain et l'électorat franco-algérien est nombreux dans la cité phocéenne –, exercice au cours duquel il n'a pas un mot pour Boualem Sansal ou le journaliste Christophe Gleizes. Deux mondes.

- Un basketteur camerounais marque dans son propre panier
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