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Armes à sous-munitions en Ukraine: sommes-nous hypocrites?

Lorsqu'elles sont lancées, ces fusées contiennent des centaines d'engins explosifs. Ce système d'arme s'appelle les armes à sous-munitions.
Lorsqu'elles sont lancées, ces fusées contiennent des centaines d'engins explosifs. Ce système d'arme s'appelle les armes à sous-munitions.Image: getty
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Armes à sous-munitions en Ukraine: sommes-nous des hypocrites?

L'utilisation d'armes à sous-munitions, en Ukraine, soulève des questions, car les deux camps emploient ces projectiles interdits, mais seul Moscou est pointé du doigt.
05.08.2023, 16:1905.08.2023, 16:19
Joana Rettig
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Février 2022: cela ne faisait pas trois jours que la Russie avait envahi l'Ukraine que déjà les premiers communiqués tombaient:

«Utilisation d'armes à sous-munitions»
«Crime de guerre présumé»

Le monde a été choqué. De nombreux médias ont parlé de ce système d'armes proscrit et honni. Après chaque attaque russe avec des bombes à sous-munitions, également appelées munitions en grappe, les chaînes de télévision et de radio se répétaient: la Russie était coupable d'un crime.

Qu'est-ce que les armes à sous-munitions?
Les bombes à sous-munitions contiennent une multitude de petites charges explosives qui sont libérées à l'exposition.
Les bombes à fragmentation ne sont pas seulement dangereuses pendant l'attaque. Un grand nombre de ces bombes n'explosent pas à l'impact et restent enfouies dans le sol. Elles peuvent s'enfoncer jusqu'à 50 centimètres dans le sol. Là elles deviennent des pièges imprévisibles et extrêmement fragiles.

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Pourtant, les choses ne sont pas si simples. En février 2022, l'expert militaire suisse Niklas Masuhr nous avait lancé: «Il est possible que l'Ukraine utilise, elle aussi, des armes à sous-munitions». Ce pronostic s'est aujourd'hui confirmé.

L'Ukraine a commencé, et depuis longtemps, à utiliser des bombes à sous-munitions. Elles ont été fournies par les Etats-Unis.

Et le scandale, s'il y en a un, est explicable par le fait que l'Ukraine n'a pas signé l'accord sur les armes à sous-munitions de 2008, et n'est donc pas punissable.

C'est vrai. En 2008, plus de 100 Etats ont signé la Convention sur les armes à sous-munitions: un traité qui interdit l'utilisation, la production, le transfert et le stockage des armes à sous-munitions. Ni la Russie, ni l'Ukraine, ni les Etats-Unis n'en font partie.

Mais pourquoi avons-nous condamné la Russie aussi explicitement et pas l'Ukraine? Y a-t-il deux poids, deux mesures?

Probablement que oui, comme l'expliquent les experts interrogés par watson. Mais il n'est pas certain que nous sombrions dans l'hypocrisie pour autant.

Que dit la loi?

En droit international, ni la Russie ni l'Ukraine ne peuvent être poursuivies pour l'utilisation d'armes à sous-munitions. L'important est donc ici la cible. Si des cibles civiles sont touchées ou si l'on accepte que des civils soient blessés ou tués, cela peut être considéré comme un crime de guerre. Il est de notoriété publique que la Russie attaque délibérément et brutalement de tels objectifs.

Mais dans ce contexte, l'utilisation d'armes à sous-munitions n'a pas grand-chose à voir avec le crime lui-même. En effet: dans le droit de la guerre, la réglementation sur les cibles d'attaque s'applique également à l'utilisation de tout autre système d'arme.

«Le droit international et l'éthique de la guerre ne sont pas la même chose», explique l'éthicien militaire Florian Demont, interrogé. Demont enseigne à l'Académie militaire de l'ETH de Zurich.

Propagande ukrainienne

Il est évident que l'Ukraine parle de crimes de guerre lorsque la Russie utilise de telles munitions. Car, comme le dit Demont, «tous les acteurs ont un intérêt majeur à se présenter sous un jour favorable et à être soutenus». Dans la communication stratégique de guerre, on utiliserait donc à la fois le droit des conflits armés et les principes moraux et justes de la guerre.

Un orc en uniforme. "Soldat russe : maraudeur, violeur et meurtrier" dit l'affiche à Mykolaïv.
Un orc en uniforme. «Soldat russe : maraudeur, violeur et meurtrier» dit cette affiche à Mykolaïv.Image: watson.de

Selon Demont, la propagande et le sentiment partisan sont des facteurs essentiels à cet égard. Il affirme:

«Il est irréaliste de supposer que l'on juge cette affaire de manière impartiale»

Il est évident que cela profite à l'Ukraine si le sentiment général des pays occidentaux est positif envers eux et négatif contre la Russie, explique Demont. Les deux parties gèrent donc leur communication de manière à ce qu'elle corresponde à leur plan de guerre. «Mais ce n'est pas encore de la manipulation», dit l'expert:

«Il n'y a manipulation que lorsque d'autres parties se laissent manipuler»

Un avis biaisé?

Pour Demont, la véritable question est donc de savoir si nous assumons la responsabilité de la formation de notre opinion. Pour ce faire, nous devons être conscients que nous ne sommes pas libres des contraintes et des tentatives d'influence:

«Nous sommes impliqués dans les événements de guerre et devons penser et agir de manière à rester à l'abri des reproches à long terme»

Il est clair que la majorité de la population occidentale se range du côté de l'Ukraine dans cette agression. L'Ukraine est victime d'une puissance impérialiste et le pays se défend contre son agresseur. Si l'on interprète la déclaration de Demont dans le sens où nous agissons en tant qu'observateurs partiaux, il est tout à fait compréhensible que nous pardonnions à notre parti d'avoir commis des erreurs.

Et il en va de même pour l'utilisation d'armes à sous-munitions.

Une question de perspective

La question de cette «hypocrisie» se justifie, selon Martin Elbe, président du groupe de travail sur l'armée et les sciences sociales. «Et en effet, il semble qu'il y ait deux poids deux mesures», écrit l'éthicien militaire, interrogé par watson.

Mais tout dépend de la perspective.

Tout est une question de pondération. L'éthique de conviction rencontre l'éthique de responsabilité. Autrement dit, l'utilisation d'armes à sous-munitions mêle deux principes fondamentaux de l'éthique militaire. L'utilisation d'armes est considérée comme ciblée et justifiée après la pesée, c'est la part d'éthique de conviction. Si les forces armées ukrainiennes n'effectuent effectivement que des interventions contre des objectifs militaires, la part d'éthique de responsabilité est également assurée.

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Elbe analyse: «L'évaluation de la question de savoir s'il y a deux poids, deux mesures dépend manifestement de l'instrument de mesure et de l'endroit où l'on regarde avec».

Toretsk dans la région de Donetsk: parmi les obus d'artillerie, il y a des projectiles de bombes à fragmentation.
Toretsk dans la région de Donetsk: parmi les obus d'artillerie, il y a des projectiles de bombes à fragmentation.Image: getty images

L'Ukraine a pris des engagements en matière d'armes à sous-munitions et s'est imposé des conditions. Le ministre de la Défense Oleksii Reznikov avait publié ces engagements sur Twitter:

  • Interventions uniquement en Ukraine pour reconquérir le territoire.
  • Pas d'utilisation en milieu urbain.
  • Chaque intervention est documentée.
  • Les mines seront éliminées plus tard.
  • Les interventions sont signalées aux partenaires.

Les choses deviennent toutefois complexes lors du déminage. Les bombes non explosées s'enfoncent souvent dans le sol. Après la fin de la guerre, il ne sera jamais possible de définir exactement où et combien de petites bombes sont enterrées.

Selon l'éthicien militaire Demont, cette réalité s'oppose à l'attitude des cultures militaires occidentales qui privilégient «une précision chirurgicale pour atteindre des objectifs militaires». Il s'agit justement de contrôler le plus précisément possible les conséquences de la violence militaire. Selon lui:

«D'un point de vue éthique, l'exigence d'une précision chirurgicale et d'une contrôlabilité des conséquences de l'utilisation de la force militaire est liée au fait que l'on souhaite créer, par des moyens militaires, une base pour un ordre de paix solide et rapide. Mais l'utilisation de munitions en grappe affaiblit cet objectif en ce sens que l'on renonce à la force de pénétration au détriment de la précision et de la contrôlabilité».

Et puis, il y a les clandestins. Un ordre de paix solide ne peut guère être assuré avec eux, «car à long terme, des dangers peuvent être créés au niveau de la vie civile après le conflit».

L'Ukraine paie donc un prix élevé pour l'utilisation d'une arme proscrite. Les coûts et les avantages ont-ils été soigneusement pesés? Demont explique: «Le prix d'une plus grande efficacité militaire est payé dans ce cas par un refus partiel d'un ordre pacifique d'après-guerre. Dans le contexte d'une lutte pour la liberté, c'est une évolution inquiétante».

Traduit de l'allemand par Nicolas Varin

La catastrophe du barrage Kakhovka en images
Video: watson
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