Souvenez-vous, jadis, le parti démocrate se léchait les babines à la perspective du paquet de procès qui devait venir éteindre sans grands efforts la campagne de Donald Trump. Joe Biden se voyait déjà renouveler son bail en douceur et le reste du monde se plaisait à imaginer le milliardaire derrière les barreaux avant le 5 novembre.
La justice ayant plusieurs fois décidé de fermer un œil ou deux, pour ne pas risquer l’accusation d’ingérence politique, tous les regards s’étaient alors tournés sur les maladresses cognitives du président des Etats-Unis. En l’espace de quelques lapsus, ses gaffes sont passées du divertissement à un danger irrémédiable pour le pays. Cette fois, c'est Trump qui se frottait les mains. Mais un terrible débat télévisé plus tard, papy Biden se retrouvait dans le cagibi, remplacé au pied levé par la moins faible des alternatives démocrates, sans trop se soucier de l’opinion des électeurs.
Depuis lors, ce ne fut qu’un interminable sprint gorgé de mauvaise foi et d'uppercuts dans le foie, durant lequel Kamala Harris a su profiter de son statut de «not Joe Biden» pour rattraper le temps perdu et Donald Trump dans les sondages. Et il fallait peut-être une outsider moins épuisée que les autres pour réaliser à quel point deux Amériques se toisent et sont aujourd'hui irréconciliables.
Un clivage que l'on a d'ailleurs violemment constaté au cœur des neighborhoods, de la Floride au Nebraska. Les opinions politiques se révèlent tellement ancrées que, malgré les assauts répétés des deux candidats, les sondages n'ont pas frétillé d’un cil. Le seul coup de théâtre qui est susceptible de débouler mardi soir, c'est un écart pas aussi mince qu'annoncé entre Kamala Harris et Donald Trump.
N'oublions pas non plus qu'une majorité d'électeurs américains, excepté les militants MAGA, auraient rêvé de pouvoir miser sur du sang frais et attendaient un peu plus de courage de la part des partis démocrate et républicain.
Harris et Trump, la vice-présidente et le vieux président, ont un passif, une histoire et des babioles qui traînent quelque part dans la Maison-Blanche. Tous deux ont déjà eu l'occasion de rafistoler l'Amérique à leur idée, bien que Kamala Harris ait aujourd’hui pour elle une bonne collection de premières fois historiques, si elle venait à se hisser jusqu'au Bureau ovale.
Cette éreintante course à la Maison-Blanche se termine. Enfin. Elle aura opposé le repris de justice à la pièce rapportée, l’agressivité à l'inclusion, le chaos à une certaine forme de raison, le très rouge au très bleu. Le monde retient son souffle à la perspective d’un Donald Trump refusant violemment la défaite et, à les écouter, il faudra s'attendre au fascisme d'un côté et au laxisme de l'autre.
Au milieu? Plus grand-chose.
En marge de ce triste cirque d'attaques personnelles, les électeurs ont failli être épargnés par les balles. C'est à la fois une règle tacite et un kit de survie électoral: surtout ne jamais taper sur les supporters de l'ennemi(e), qui représentent la moitié d'une population qu'il s'agira de représenter tout entière, une fois sur le trône.
Autrement dit, juger l'électorat adverse est un suicide politique. Si Trump et Harris s'en sont souvenus, Joe Biden a craqué. Oui, encore lui. En traitant les trumpistes de «déchets flottants», le président des Etats-Unis a sans doute commis la dernière boulette de sa carrière.
Une très grosse boulette.
Même si le gouvernement martèle que l’on a «mal interprété sa remarque» et qu'il répondait à une vanne raciste d'un sous-fifre du milliardaire, le mal est fait, le mot est prononcé. La réaction sèche et épidermique de Kamala Harris prouve d'ailleurs que l'embarras est sévère: «Que les choses soient claires: je ne suis pas du tout d'accord avec l'idée de critiquer les personnes en fonction de leur vote».
NOW - Kamala: "I strongly disagree with any criticism of people based on who they vote for."pic.twitter.com/RVSEbSzp9f
— Disclose.tv (@disclosetv) October 30, 2024
A l'heure de l'apéro ou en famille, tout le monde a un jour été tenté de réduire les supporters de Donald Trump à des extrémistes demeurés ou de considérer les fans de Kamala Harris comme de wokes écervelés. Un défouloir auquel les potentiels maîtres du monde sont (heureusement) privés.
Cette sortie rappelle surtout que les démocrates ont encore toutes les peines du monde à se départir de la réputation d'être le parti de l'establishment. Un caillou également présent dans la chaussure du parti républicain, mais que Donald Trump a toujours réussi à éviter, de façon malhonnête, en se plaçant dès le début du côté des «victimes d'une élite» qui «veut sa mort».
En 2008, Barack Obama avait fait l'erreur de réduire les électeurs ruraux à des gens qui passent leur vie à s’accrocher «à leurs bibles et à leurs armes». Huit ans plus tard, Hillary Clinton comparera les supporters de Donald Trump à un «panier déplorable rempli de racistes, sexistes, homophobes, xénophobes et islamophobes». La boulette de Joe Biden est un réflexe très démocrate, qui va peut-être perturber les derniers indécis. Au point d'incarner cette célèbre «October surprise, susceptible de faire basculer la présidentielle tous les quatre ans? Difficile à dire.
A quelques jours de l'élection d'un nouveau chaperon pour la plus grande puissance mondiale, les Américains s'apprêtent en réalité à choisir entre le mensonge et la morale. On peut bien sûr le regretter, mais il semble qu'en 2024, les bobards soient moins préjudiciables qu'une certaine forme de condescendance.