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Roland-Garros, Cannes, JO: Macron doit-il céder au chantage?

Roland-Garros, Cannes, JO: Macron doit-il céder au chantage?
La CGT Energie menace de priver d'électricité les événements internationaux comme les JO ou Roland-Garros. Et Macron?keystone
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Les JO et Roland-Garros sabotés? Macron face au chantage

Du Festival de Cannes à Roland-Garros, en passant par le Tour de France et le Grand Prix de Monaco, la CGT Energie menace de priver d'électricité les événements internationaux, si la réforme des retraites n'est pas retirée séance tenante. Une nouvelle tactique risquée pour les syndicats. On en cause avec un politologue.
24.04.2023, 18:4924.04.2023, 18:50
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«Je t'aurai prévenu!» Parents et enfants connaissent bien l'art du chantage, pour en être tour à tour les instigateurs et les victimes. «Pas de bonnes notes, pas de dessert!», «si on va pas à Disneyland, j'arrête de respirer!» Pour ce qui est du gamin, on pouvait lire dans Le Monde, en 2018, qu'il vaut «mieux ne pas tomber dans le panneau et lui signifier que sa manipulation ne prend pas, qu’on ne joue pas avec les sentiments des autres pour s’épargner la frustration». Une fois en main des parents, il semblerait que cette menace soit d'abord «un signe d’impuissance», selon le psychologue clinicien Didier Pleux.

Education, politique, même combat?

Au premier coup d'oeil, la menace brandie dimanche, par le syndicat CGT Energie, de couper l'électricité durant Roland-Garros, le Festival de Cannes et les JO de Paris si la réforme des retraites n'est pas retirée, n'a rien à envier aux gamineries familiales. Pour situer l'endurance des ennemis du chef de l'Etat, on parle même du Grand Prix de F1 de Monaco, du Tour de France et du Festival d'Avignon. C'est en tout cas une riposte claire aux «100 jours d'apaisement» proposés par Emmanuel Macron lors de son allocution, la semaine dernière.

Avec cette nouvelle action «100 jours de colère», les syndicats poursuivent un objectif plutôt simple, mais... double: perturber l'organisation de manifestations majeures, mais aussi saccager la réputation de l'Elysée alors que le monde entier aura les yeux tournés vers la France. Un coup de pression censé faire peser la responsabilité de ces désagréments futurs sur les épaules du président de la République en mode «chers observateurs étrangers, regardez comme Macron n'est pas capable de gouverner le pays».

Si les organisateurs du Tour de France avouent «avoir l’habitude des perturbations et généralement ça se passe très bien», la Fédération française de tennis a déjà annoncé suivre l'avancée de ces menaces, non sans une petite goutte d'appréhension.

«Nous avons activé une veille. Nous regardons ça avec beaucoup d’attention. Nous avons un dispositif de sécurité adapté en fonction des risques identifiés»
Caroline Flassier, directrice générale de la FFT

Mais encore faut-il que la CGT Energie ait les moyens techniques de plonger un festival comme Cannes dans le noir. Pour Anna Créti, économiste spécialisée en questions énergétiques, c'est un grand oui: «Soit on utilise le gestionnaire de réseau pour couper un point de livraison, c'est-à-dire une zone d'environ deux kilomètres autour du lieu de la manifestation, soit on passe par les fournisseurs d'électricité, qui peuvent, eux, être encore plus précis.»

Cette menace de black-out ciblé est-elle, comme dans le cas d'un rapport de force familial, une preuve d'impuissance des mouvements sociaux? «Je crois surtout que ça va d'abord tendre encore davantage les rapports. La ligne de négociation est en train de s’amincir dangereusement. Par cette menace, les syndicats tentent d'intervenir là où ils pensent encore avoir un certain poids: le service public», analyse le politologue René Knüsel, qu'on a eu au bout du fil lundi matin. Pour notre expert, c'est plutôt audacieux d'essayer de jouer sur un terrain qui n'a plus grand-chose à voir avec le nerf de la guerre, à savoir la réforme des retraites. Mais le jeu est jugé risqué.

«Emmanuel Macron n'est sans doute pas très serein face à ces menaces. Mais si elle devait être mise à exécution, on aura perdu totalement le sens initial des revendications et les mouvements sociaux pourraient perdre de leur pouvoir»
René Knüsel, politologue et professeur honoraire à l'Université de Lausanne.

Une coupure de courant avait déjà crispé les deux camps, jeudi dernier, en marge d'un déplacement de Macron: une clinique privée en avait fait les frais. Si la CGT s'était immédiatement désolidarisée de l'incident, ce dernier a permis au président de se positionner de manière cinglante: «Rendez-vous compte que l'on a coupé l'électricité à une clinique! Et s'il y a une radio ou une télévision qui ne me plaît pas, je vais couper l'électricité? C'est démocratique?»

Chaque nouvelle action, chaque nouvelle arme pour tenter de faire plier le gouvernement, a une incidence sur l'opinion publique. En faisant de Roland Garros ou du Tour de France une cible détournée dans le combat contre la réforme des retraites, les syndicats veulent avant tout fédérer la population. «Car Macron est tellement certain de sa légitimité avec sa réforme, qu'il y a peu de chance pour qu'il opère un pas en arrière, malgré le risque de retrouver Roland Garros dans le noir», nous dit René Knüsel.

Car, en réalité, c'est bien le capital sympathie des mouvements sociaux qui est en jeu dans ce chantage au black-out, «la compréhension des citoyens a ses limites, on le constate par exemple face aux militants du climat qui bloquent le Gothard. En Angleterre, on ne fut pas très loin d'un pugilat, parfois», rappelle le politologue. On se souvient d'ailleurs des happenings médiatiques du mouvement Dernière Rénovation, en 2022, quand Alizée, une activiste de 22 ans au moment des faits, s’était attachée la gorge au filet du court central de Roland-Garros.

Une action qui, contrairement aux menaces actuelles de black-out, n'avait pas entravé durablement le cours ordinaire de la manifestation.

«Un chantage aussi frontal, ce n'est pas le propre de la démocratie. Nous ne sommes plus dans le consensus ou la négociation»
René Knüsel, politologue
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Les retraites, un prétexte à l'anti-macronisme

«L’objectif est de mettre Macron face à une impasse. S’il recule, il est faible. S’il résiste, c'est qu'il méprise le peuple. Mais ce duel entre syndicats et pouvoir va devoir intégrer une population qui pourrait commencer à se lasser», explique René Knüsel. Car le véritable risque, désormais, pour la CGT, c'est bien qu'une partie des Français fatigue et se mette à considérer que ces actions ne sont rien d'autre qu'«une prise d'otage du monde du sport ou du cinéma».

Contrairement à ce que suggérait, lundi matin, Sophie Binet, secrétaire générale de la CGT, ce n'est pas tant «les citoyens qui décident d'actions pour se faire entendre», mais bien les syndicats qui espèrent que la foule suivra jusqu'au bout. Le risque se trouve également du côté des observateurs internationaux, toujours selon René Knüsel:

«Si la finale de Roland-Garros venait à être perturbée par une coupure de courant, pas sûr que les journaux sportifs étrangers ou le New York Times comprennent l'argumentaire des syndicats»
René Knüsel

Malgré un mouvement de contestation qui perd (un peu) en tonus à chaque nouvelle mobilisation, les syndicats ne sont pas près d'abandonner ce qu'ils nomment désormais par le jeu de mots «grèvilla».

Or, depuis la promulgation de la fameuse loi par Emmanuel Macron, on serait tenté de dire que même dans l'hypothèse (illusoire) d'un vrai pas en arrière du pouvoir, la colère contre le président, qui semble plurielle (sinon totale), trouverait très vite un os tout neuf à ronger. C'est par exemple l'avis du journaliste Paolo Levi, correspondant établit à Paris pour plusieurs médias italiens: «Le Macron Bashing va rentrer parmi les disciplines olympiques de Paris 2024, tellement c'est devenu répandu.»

Il va même plus loin:

«On pourrait mettre l'abbé Pierre à l'Elysée à la place de Macron que ce serait la même chose»
Paolo Levi, journaliste italien.

Ce n'est pas un scoop, dans l'oeil de bon nombre d'observateurs, c'est le système jugé trop vertical de la Ve République qui s'essouffle. René Knüsel est d'ailleurs du même avis que notre collègue Antoine Menusier: «Aujourd'hui, la réforme est un prétexte et Macron n’est qu’un symptôme».

Mais, sans doute pour la première fois depuis le début des tensions autour de la réforme des retraites, et précisément grâce aux menaces de coupures de courant durant les événements majeurs, la foire d'empoigne pourrait bien tourner à l'avantage du président. Chaque fois qu'une nouvelle technique de contestation est choisie, les mouvements sociaux prennent le risque de se diviser. Et, donc, de s'affaiblir.

Macron, plus que jamais, joue la montre. Son objectif? «Les grandes vacances, ose René Knüsel. La population se démobilise toujours un peu à la pause estivale.»

Des mèmes pour parler de la réforme des retraites en France
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