La Chine est en pleine crise économique et Vladimir Poutine mène la Russie à la misère. La situation est très différente pour la superpuissance américaine. Son économie est par exemple sortie de la pandémie avec les honneurs. Le magazine The Economist a même récemment montré qu'elle n'avait pas été aussi forte depuis longtemps. Et pourtant, de larges pans de l'administration américaine ont failli être paralysés dès le mois d'octobre.
Il n'y a aucune raison valable à cela. Hormis une poignée de députés conservateurs, excités et butés, comme Matt Gaetz, Marjorie Taylor Green et Lauren Boebert, qui profitent de la très faible majorité à la Chambre des représentants pour semer la zizanie.
Parallèlement, il est toujours envisageable que Trump remporte les élections l'année prochaine et s'installe une deuxième fois dans le bureau ovale. Contrairement à son premier mandat, il n'y aura alors plus de véritables «adultes» dans son entourage, comme l'ancien ministre de la Défense Jim Mattis ou le chef de cabinet John Kelly pour stopper Trump.
Une équipe travaille déjà sur la manière de neutraliser les «checks and balances» de la démocratie américaine et de permettre à Trump de gouverner comme son modèle Vladimir Poutine. Si Trump gagne, son deuxième mandat ne sera donc que la vendetta d'un narcissique pathologique - il promet déjà à ses partisans qu'il exercera des «représailles» - et la victime la plus fragile sera la démocratie américaine.
Tout cela soulève une question cruciale: les Américains sont-ils trop stupides pour la démocratie? C'est ce que pense Jason Brennan. Ce philosophe et politologue de l'université de Georgetown, à Washington, avait déjà fait sensation il y a sept ans avec son livre Against Democracy. Il y dresse un constat sans appel.
Brennan ne manque pas d'exemples pour étayer sa thèse. En voici quelques-uns:
Le politologue divise l'électorat en trois groupes: les Hobbits, les Hooligans et les Vulcains. Les Hobbits sont ignorants et opportunistes. Ils votent tantôt comme ceci, tantôt comme cela. Les Hooligans sont les soldats d'un parti qui suivent aveuglément les slogans de leur gourou. Selon Jason Brennan, les Hobbits et les Hooligans représentent 90% du vivier électoral.
Reste les Vulcains, en infériorité numérique. Eux seuls se comportent de manière rationnelle et connaissent la plupart des questions de fond.
Toujours selon Brennan, la politique est tout sauf une forme d'université populaire. «La plupart des formes d'engagement politique n'échouent pas seulement à nous éduquer, elles nous rendent plus blasés et corrompus», constate-t-il. Cela a pour conséquence que la plupart des Hobbits deviennent, avec le temps, des Hooligans et que la démocratie se dégrade.
Cette évolution peut être constatée dans la plupart des démocraties occidentales. Mais elle est particulièrement marquée aux États-Unis. La polarisation y a pris des proportions massives qui rappellent l'époque des guerres de religion. La rivalité est empreinte de haine. Une démocratie qui a dégénéré peut avoir des dérives dangereuses. Le politologue américain rappelle qu'Adolf Hitler est arrivé au pouvoir de manière démocratique.
C'est pourquoi il propose une alternative: l'épistocratie. Autrement dit, le règne des sages. Il part du principe qu'une démocratie n'est pas quelque chose de noble, qui a une valeur en soi. Elle serait plutôt un instrument, un outil, comme un marteau. Et si l'on constate que ce marteau ne remplit plus sa fonction, il faut le remplacer.
Attention, Jason Brennan ne demande pas l'abolition de la démocratie, mais une amélioration. Concrètement? Que les électeurs passe par exemple un examen avant de pouvoir se rendre aux urnes. Ou alors que les institutions politiques traditionnelles seraient complétées par des comités d'experts.
Bien que Brennan n'en parle pas, l'utilisation de l'intelligence artificielle et des systèmes experts s'impose. Les discussions à ce sujet ne manqueront pas d'arriver. Autant sa critique à l'égard de la démocratie est pertinente, autant ses propositions concernant l'épistocratie sont vagues. Elles sont même dangereuses, car Vladimir Poutine, Viktor Orban et Xi Jinping pourraient en prendre de la graine. Ils iraient même jusqu'à maquiller leur dictature en épistocratie.
Et le résultat est loin d'être réjouissant.
S'il parait sain de disséquer les faiblesses de la démocratie actuelle, et notamment aux Etats-Unis, la citation légendaire de Winston Churchill reste une valeur sûre pour ne pas risquer trop de plumes: «La démocratie est le pire système de gouvernement, à l'exception de tous les autres qui ont pu être expérimentés dans l'histoire».
(traduit par Fred Valet)