Depuis qu'il a évité la case prison, Donald Trump se croit tout permis sur le plateau du Monopoly mondial. Alors qu'il promet d'en finir avec la guerre en Ukraine en 24 heures, le voilà déterminé à annexer ses voisins. Annexer? Disons plutôt que, dans son esprit, il s'agit d'abord d'une question d'argent, mégaphone à la bouche et caddie bien en mains.
Persuadé de pouvoir s'offrir le Canada, le Groenland et le canal de Panama, comme un homme d'affaires américain se paie Crans-Montana ou la moitié de Las Vegas, le 47e président des Etats-Unis profère des menaces bordéliques, loufoques, mais tout à fait sérieuses.
Bordéliques, parce que Trump n'a sans doute pas de plan. De vrai plan. Comme souvent, il beugle des vœux et secoue les autres joueurs. Il pisse sur le monde pour annoncer son arrivée. Cela étant dit, en utilisant le verbiage financier pour dévoiler son intention d’avaler des territoires, il se souvient peut-être que le plus gros bouffe le plus petit. Que les Etats-Unis ont simplement le droit d'intimider des nations, parce qu'elles sont moins puissantes que la sienne. Une déformation professionnelle, lui qui a longtemps montré les dents dans la jungle immobilière des gratte-ciels de New York.
Loufoques, parce que ça ne se fait pas. Du moins selon les règles occidentales de la bienséance géopolitique. A première vue, les mots de Trump peuvent ne pas avoir de sens. Ses manières n’ont rien à envier au tonton ivre qui exige de construire trois hôtels sur Zurich Paradeplatz, sans jamais y avoir déposé son pion. Ça ne se fait pas.
Le Conseil fédéral ne se lève pas un matin pour annoncer brutalement vouloir acheter l'Italie et la Bourgogne. A ce petit jeu, même Vladimir Poutine a de meilleures excuses pour avoir voulu croquer l'Ukraine. De son côté, The Atlantic tient une piste pour expliquer tout ce tintamarre: «Le programme politique concret de la présidence de Trump consiste en des avantages réglementaires et fiscaux ennuyeux qui n'intéressent pas ses électeurs».
En d'autres termes, le prochain gouvernement américain utiliserait le trolling pour asseoir son influence et garder les troupes réveillées. Une sorte d'enfantillage bruyant qui permet de faire croire à sa base que le pays est une victime qu'il s'apprête à venger et de monopoliser les sommets de l'information mondiale, à quelques jours de son investiture. Difficile pour le reste du monde de ne pas réagir, lorsque c’est la plus grande puissance mondiale qui pousse le curseur.
Sérieuses, parce que Trump ne rit pas. Lorsqu'il traite Justin Trudeau de «gouverneur» et considère que le Canada ferait le parfait 51e Etat de «son» pays, il terrorise. Quand il exhorte le Danemark de lui livrer le Groenland en temps et en heure, le futur président menace de dégainer des taxes inhumaines. Pour ce qui est du canal de Panama, Donald Trump n'a jamais digéré l'accord passé par Jimmy Carter en 1977 pour en transférer le contrôle. Et il déteste par-dessus tout avoir l'impression d'être mené par le bout du nez.
«Nécessité absolue», «pas négociable». Mardi soir, la conférence de presse que le septuagénaire a donnée depuis Mar-a-Lago laissait peu d'espace à la diplomatie. Quand un journaliste lui a demandé s'il renoncerait à toute coercition «militaire et économique» pour s'emparer du canal du Panama et du Groenland, le propriétaire des lieux a laissé planer un doute qui fait froid dans le dos: «Je ne vais pas m’engager là-dessus. Il se pourrait que nous devions faire quelque chose».
Ce n’est pas parce que ses chances de succès sont moindres, que sa loufoque brutalité ne fait pas sursauter les autres joueurs. En pareille occasion, trois choix s'offrent à eux. Repousser sérieusement l'enquiquineur, jouer le jeu ou les deux. Prenez par exemple le premier ministre de l'Ontario, Doug Ford. Mercredi matin, tout en affirmant que «le Canada restera le plus beau pays du monde», il s'est fendu d'une petite vanne de circonstance:
N'oublions pas que tout, chez Donald Trump, est invariablement performatif. Et, souvent dans le langage MAGA, l'intention se suffit à elle-même. Un effet d'annonce que sa base ne lui a jamais fait payer. Il suffit de se souvenir de l'épisode de «son mur», le long de la frontière mexicaine. L'exiger était déjà une preuve de toute-puissance. En parler régulièrement lui avait permis de maintenir une menace au plus haut niveau.
Et ses armes sont souvent aussi imprévisibles qu'intimidantes. Que dire du voyage surprise de son fils Don Jr. au Groenland, qui assure y être allé en «touriste» pour «se marrer un peu»?
Don Jr has arrived in Greenland. pic.twitter.com/ULkCJmUyvF
— Trump Girl 🇺🇲🦅🇺🇲 (@MAGA__Patriot) January 7, 2025
La diplomatie a toujours eu quelque chose de mafieux avec le milliardaire MAGA. Terroriser l'ennemi avec des armes peu banales, avant de lui laisser le temps de comprendre. Pour faire passer la pilule, il lui suffit souvent d'invoquer, comme durant sa conférence de presse, la «sécurité des Américains» et la protection du monde libre». Et puis, Le Monde le rappelle très bien, Trump adore imiter ses propres modèles, «comme Thomas Jefferson, qui avait acquis la Louisiane auprès de la France en 1803». S'il y arrive, pourquoi pas moi?
Il ne faut pas oublier que Donald Trump, en tout bon Américain, a toujours été d'un optimisme désarmant. Un homme d'affaires qui maîtrise ses propres techniques de négociation. Et ce qui peut paraître lunaire aujourd'hui, ne date pourtant pas d'hier.
Dans sa bible, The Art of the Deal, parue dans les années 80, il appelait ça «l'hyperbole véridique». Une vérité spongieuse qui fonctionne très bien quand on veut racheter des trucs. Et dont la définition explique en partie pourquoi il faut prendre ses vœux d'annexion au sérieux: