Ce devait être un week-end joyeux, rythmé par les barbecues, les baignades et les festivités pour l'Indenpendance Day. Mais les pluies diluviennes qui se sont abattues dans la nuit de vendredi sur plusieurs comtés du centre du Texas en ont décidé autrement. Dimanche, le bilan des pires inondations qu'a connu l'Etat depuis au moins un siècle était de 81 personnes et 41 disparus, dont une dizaine de jeunes filles dans un camp d'été.
Au moins 68 d'entre elles, dont 28 enfants, se trouvaient dans le comté de Kerr, à Camp Mystic.
Camp Mystic. Un véritable paradis sur terre, niché parmi les cyprès, les chênes verts et les pacaniers, sur les rives de la rivière Guadalupe. Au Texas, cette colonie de vacances chrétienne réservée aux filles est une véritable institution. Au menu? Des journées entières rythmées par les matchs de basket, la pêche, les courses de canoë, le tir à l'arc, la cuisine ou encore les lectures de la Bible au coin du feu.
Ce célèbre camp de vacances est géré par la même famille depuis trois générations. Richard «Dick» Eastland, le directeur, vit sur la propriété depuis les années 1970 avec sa femme Tweety. Une sorte de légende vivante. Il se souvient du nom de chaque campeuse. Le dimanche, il célèbre la messe à Chapel Hill, un site surplombant le camp. Ce jour-là, les campeuses, toutes affublées de tenues blanches, ont droit à du poulet frit pour le dîner, après avoir écrit à leur famille. Une tradition.
Bref, un lieu de «pure joie» pour des générations de participantes. Jusqu'à cette terrible nuit de vendredi, lorsque l'eau du fleuve Guadalupe prend au piège les campeuses. Il est environ 4h du matin.
Il ne faut que 45 minutes pour que des pluies diluviennes fassent grimper le niveau de la rivière d'environ 8 mètres. A moins de 150 mètres de la rive, des centaines de filles sont endormies dans des cabanes.
Tout proche de là, dans le lotissement Casa Bonita, près de Hunt, un père de famille est réveillé par le bruit de la pluie battante, du tonnerre et des éclairs, rapporte le Wall Street Journal. Quelques heures plus tôt, RJ Harber, un père de famille avocat de Dallas, a bien reçu des alertes de crue soudaine pour certaines zones. Pas pour celle où il séjourne.
RJ connait bien la région. Il sait que le niveau de l'eau de la rivière peut monter. Il songe alors à aller réveiller ses deux filles. Juste pour vérifier que tout va bien. Brooke, 11 ans, et Blair, 13 ans logent dans une cabane à une trentaine de mètres en contrebas, plus proches de l'eau, avec leurs grands-parents.
Lorsque RJ pose les pieds hors de son lit, le sol du cabanon baigne déjà dans 10 centimètres d'eau. Il se tourne vers sa femme, qui ne dort pas non plus. «Annie, la cabane est inondée», murmure-t-il. De l'eau s'infiltre déjà par la porte d'entrée. Impossible de l'ouvrir. Par la fenêtre, RJ constate que le niveau de l'eau se situe déjà à environ soixante centimètres.
Un peu plus loin, le long de la rivière Guadalupe, un couple de sexagénaires a également été réveillé par la météo. Pour ce voyage, un rite familial annuel pour les fêtes du 4 juillet, Jeff et Tanya Ramsey et leur lévrier adoré, Chloe, ont choisi une cabane assez éloignée du reste de la famille. Un «endroit magnifique», décrit le frère de Tanya, Eric Steele, au New York Times.
Au milieu de la nuit, il est réveillé par un coup de fil paniqué de sa soeur et de son beau-frère. Jeff est affolé. D'ordinaire, pourtant, il sait «toujours quoi faire». Alors quoi? Sortir? Rester à l'intérieur?
Eric Steele saute dans sa voiture et conduit aussi loin que possible en direction du campement reculé où le couple s'est installé. Avant de marcher dans l'eau. Il en a jusqu'aux cuisses. Puis, il doit admettre qu'il ne peut pas aller plus loin. Toujours au bout du fil, Tanya lui demande de dire à ses enfants qu'ils les aiment. «Elle a crié, puis le téléphone a coupé», a-t-il dit. «Je m'en souviendrai toujours.»
Pendant ce temps, le couple Harber attrape quelques affaires, leurs téléphones portables et un sac pas encore déballé. Lorsqu'ils sautent par la fenêtre, deux minutes plus tard, l'eau lui arrivent désormais au cou. RJ et Annie préviennent une première famille, endormie dans un cabanon tout proche, puis une seconde. Il faut maintenant aller sauver leurs filles.
RJ Harber emprunte un kayak, un gilet de sauvetage et une lampe de poche, avant d'entamer la navigation jusqu'au chalet où Brooke, Blair et ses parents attendent sans doute d'être secourus. Il n'est qu'à mi-chemin lorsque la houle, puissante, le projette contre un poteau. L'un des chalets environnants s'est entièrement détaché de fondations.
«Je savais que si je faisais un seul coup de plus, ce serait la mort», poursuit le père de famille, qui doit aussi se résoudre à faire demi-tour pour aller chercher sa femme et les autres. A 3h45 du matin, ils trouvent refuge dans une maison située à proximité, sur un terrain plus élevé. C'est là que RJ consulte son téléphone portable. Il vient de recevoir un SMS, envoyé à 3h30. Un miracle pour cette région où il n'y a généralement pas de réseau. Le message vient de Brooke. Il dit simplement «Je t'aime».
Au lever du soleil, l'eau s'est suffisamment retirée pour que RJ Harber puisse retourner sur le lieu de disparition de ses filles. Seule la moitié de la vingtaine de cabanons qui composaient la paisible communauté de Casa Bonita est encore debout. Le chalet où séjournaient Blair, Brooke et leurs grands-parents, lui, a été entièrement emporté.
Les corps de ses filles ont été retrouvés et identifiés à une quinzaine de kilomètres de la cabane. Les grands-parents Harber, eux, étaient toujours portés disparus dimanche après-midi.
A Camp Mystic, alors qu'une dizaine de jeunes filles et qu'un moniteur sont encore portés disparus, le bilan est de 27 décès. Parmi elle, le directeur du camp, Dick Eastland. Mort alors qu'il tentait de secourir trois filles de la montée des eaux, au chalet Bubble Inn, à environ 150 mètres du bord de la rivière.
Sa femme, Tweety, figure également parmi les disparus, selon plusieurs médias locaux. Tout comme Chloe Childress, l'une des animatrices, fraîchement diplômées du lycée et qui devait entamer ses études universitaires à l'automne.
Quant à Jeff et Tanya Ramsay, ils n'avaient toujours pas été retrouvés dimanche, malgré les recherches frénétiques de leur famille au milieu des débris pour savoir c qu'il leur est arrivé. Son beau-frère, Eric, a raconté au New York Times le moment déchirant où il a cru que le corps de Jeff avait été identifié à la morgue - avant qu'un deuxième examen le lendemain ne prouve qu'il ne s'agissait pas de lui.
Le téléphone de Tanya, bien rangé dans la poche d'un coupe-vent, a été retrouvé. Ainsi que Chloe, le lévrier, à environ six kilomètres en aval de la rivière. Toujours vivante. «Nous gardons espoir, nous sommes toujours en quête», souffle Eric Steele au Times.