En 2021, le couple d'économistes Anne Case et Angus Deaton a écrit l'un des livres les plus avisés de l'époque, Mort par désespoir, qui montre pourquoi de nombreuses personnes aux Etats-Unis meurent trop tôt. En effet, environ 100 000 Américains décèdent chaque année prématurément à cause de la toxicomanie, de l'alcoolisme ou du suicide.
Aussi graves que soient les chiffres américains, la Mort par désespoir fait davantage de victimes en Russie. L'espérance de vie moyenne des Russes est aujourd'hui descendue à 71 ans, celle des hommes à 66 ans.
Parallèlement, le taux de natalité en Russie est tombé à 1,5 enfant par femme en moyenne. Or, pour assurer la pérennité de la population, il faut au moins deux enfants par femme. A cela s'ajoute le fait que le Covid a fait des ravages particulièrement violents en Russie. The Economist estime qu'entre 1,2 et 1,6 million de personnes en sont mortes depuis 2020. Si ce chiffre est exact, la pandémie a fait plus de victimes en Russie qu'aux Etats-Unis, dont la population est pourtant deux fois plus importante.
Par ailleurs, la guerre contre l'Ukraine a également un bilan effroyable. On estime entre 60 000 et 70 000 le nombre de Russes tombés depuis février 2022. Plus d'un million d'hommes ont par ailleurs quitté le pays pour éviter d'être enrôlés.
Si on additionne tous ces éléments, l'évolution démographique de la Russie est catastrophique. Selon les projections, la population actuelle de 145,6 millions d'habitants passera à 126 millions d'ici la fin du siècle.
Vladimir Poutine aime se présenter comme «le sauveur de l'Occident chrétien». Pourtant, tous les habitants de son empire ne sont pas slaves, loin de là. Dans la plupart des 22 républiques russes, ce ne sont pas les chrétiens qui sont majoritaires, mais les musulmans. A l'instar des Blancs aux Etats-Unis, qui craignent de se retrouver bientôt en minorité, les Slaves chrétiens redoutent d'être devancés par les musulmans.
L'évolution démographique est un cauchemar pour Vladimir Poutine. Il est par ailleurs tenté d'empêcher cette évolution en intégrant l'Ukraine à «l'empire russe».
Max Boot cite Stephen Sestanowich, un ancien ambassadeur américain à Moscou, comme suit:
Le cauchemar du président russe est en grande partie de sa faute. Comme le montre Alexander Gabuev, directeur du Carnegie Russia-Eurasia center à Berlin, dans Foreign affairs, le chef du Kremlin n'a pas su profiter d'une excellente situation de départ. En effet, lors de son entrée en fonction, le pays avait plus ou moins surmonté les pires dérives des années 1990. La Russie n'avait plus d'ennemis extérieurs. Ni les Etats-Unis, ni la Chine et encore moins l'Union européenne (UE) ne songeaient à l'attaquer.
Grâce à l'augmentation quasi explosive du prix du pétrole dans les années 2000, la Russie s'est retrouvée dans une excellente position économique. A l'époque, il y avait suffisamment d'argent pour rembourser les dettes et financer les salaires d'une classe moyenne naissante.
Il n'aurait pas dû en être autrement, mais Vladimir Poutine s'est de plus en plus retiré dans son coin, s'est détourné de l'Occident et s'est tourné vers les théories du complot. Au lieu d'augmenter la prospérité de la population par le commerce, il rêvait de rétablir la grande puissance qu'était l'URSS, mais sans le communisme.
Avec l'invasion de l'Ukraine, le président russe s'est tiré une balle dans le pied sur le plan géopolitique. Encore une fois, selon Alexander Gabuev:
Au lieu de cela, Poutine a conduit la Russie dans une impasse, tant économique que politique. La Russie doit vendre son pétrole à la Chine et à l'Inde avec des rabais importants et s'accommoder de marges bénéficiaires qui se réduisent comme peau de chagrin. Politiquement, elle est de plus en plus dépendante des faveurs du grand frère chinois.
Dans son obsession de vouloir restaurer le grand empire russe, Poutine semble avoir échoué. «Il s'est trompé sur la force de son armée», constate le journaliste Thomas Friedman dans le New York times. Et d'ajouter: