Le 14 mai 2023, la Turquie élira un nouveau Parlement ainsi qu'un président. Le chef de l'Etat sortant Recep Tayyip Erdoğan est défié par le politicien du parti social-démocrate (CHP) Kemal Kılıçdaroğlu. L'opposition a formé une union qui intègre un large spectre politique.
Cette alliance a pour objectif de renforcer le Parlement, affaibli en 2018 par l'introduction du système présidentiel. Pour ce faire, elle critique vivement la politique migratoire et économique du gouvernement actuel. Le président est pour sa part soutenu par l'Alliance du peuple, également hétérogène, dont on remarque surtout les partis radicaux.
Même si, parmi les candidats potentiels issus des rangs de l'opposition, Kılıçdaroğlu n'avait pas le taux d'approbation le plus élevé, il s'est affirmé comme candidat à la présidence et s'est imposé, entre autres, face au maire d'Istanbul Ekrem İmamoğlu. La raison souvent évoquée est que seul Kılıçdaroğlu serait en mesure de surmonter les différences idéologiques de l'alliance d'opposition. Il n'y a cependant pas de véritable enthousiasme pour le politicien du CHP.
Néanmoins, l'alliance tient bon et met tout son capital politique dans la balance contre Erdogan le 14 mai. Les chances de l'opposition de remporter le vote sont donc meilleures que lors des deux dernières élections. Il faudra toutefois attendre le jour du scrutin pour savoir si cela suffira. Car tous les sondages sérieux continuent de montrer une course serrée, avec les deux candidats au coude à coude.
Les sondages sont un sujet très débattu en Turquie. Sont-ils fiables ou servent-ils les intérêts d'un parti? A cela s'ajoute le fait que la frustration répandue ne conduit pas automatiquement au soutien de l'opposition. Le résultat sera serré. Au vu des quatre candidats présentés au total, il est toutefois peu probable qu'Erdogan ou Kılıçdaroğlu obtiennent la majorité absolue des voix au premier tour. Dans ce cas, un second tour aura lieu le 28 mai. Pendant ces deux semaines, le président sortant peut fournir des raisons supplémentaires de voter pour lui.
Malgré de nombreuses défaites, Kılıçdaroğlu s'efforce de mettre en scène sa personne en contrastant le plus possible avec le président actuel.
L'avenir dira si l'électorat turc se sent concerné par ce récit. Car Erdoğan est populaire en Turquie, notamment parce qu'il est prêt à faire valoir les intérêts du pays, le cas échéant par des moyens militaires.
Le parti de Kılıçdaroğlu, le CHP, est traditionnellement orienté vers l'Ouest. La proximité avec l'Europe est mise en avant. Le candidat de l'opposition souhaite prendre un nouveau départ avec l'Union européenne (UE). L'adhésion s'étant éloignée, il ne peut s'agir dans un premier temps que d'une libéralisation des visas et d'un renouvellement de l'union douanière. Mais ce que beaucoup dans l'UE n'apprécient pas, c'est que Kılıçdaroğlu veut renégocier l'accord sur les réfugiés avec Bruxelles.
Alors que dans The economist, Time magazine ou le Spiegel, l'opposition apparaît comme la dernière ligne de défense contre les ambitions autocratiques du gouvernement actuel, elle mobilise fortement en Turquie sur le thème de l'immigration. Depuis le milieu de l'année 2021, des partis de l'alliance d'opposition ont reconnu le potentiel de politisation des réfugiés syriens et afghans. Depuis lors, le ton n'a cessé de monter.
Entre-temps, l'AKP d'Erdoğan a également reconnu la nécessité d'agir. Depuis le début de l'année, des échanges continus ont lieu entre Ankara et Damas. Ils ont été initiés et encouragés en grande partie par la Russie. Mais jusqu'à présent, aucune avancée n'a été enregistrée. Notamment parce que le régime d'Assad a fait du retrait des troupes turques du nord de la Syrie une condition préalable à l'avancée des négociations. Céder à cette exigence du côté turc se heurte toutefois à la prémisse de l'intervention militaire dans le nord de la Syrie: sans la présence turque, toute la région risque de tomber aux mains des milices kurdes et des restes de l'Etat islamique.
La sécurité nationale de la Turquie serait alors menacée. Cette perspective fait l'objet d'un consensus entre tous les partis du pays. Mais tant que la Turquie ne présentera pas de concepts impliquant la restitution des territoires syriens à Damas, Assad se montrera réticent. Il est donc difficile de parvenir à un accord incluant le rapatriement de contingents importants de citoyens syriens.
Mais ni le gouvernement ni l'opposition ne disposent de concepts solides pour modifier fondamentalement cette situation. Ainsi, il est peut-être politiquement souhaitable de réduire le nombre de migrants et de réfugiés présents en Turquie.
Si le résultat est serré, tout dépendra de la manière dont le perdant gérera le résultat. D'autres exemples ont montré ces dernières années que les démocraties sont particulièrement vulnérables au moment de la passation de pouvoir. Dans ce contexte, les questions de sécurité électorale méritent une attention particulière. Kılıçdaroğlu a récemment demandé aux citoyens turcs de rester chez eux le soir des élections afin d'éviter des troubles violents.
Le président du Parlement turc, Mustafa Şentop (AKP), n'a pas tardé à réagir:
La polarisation politique a atteint son point culminant une semaine avant les élections, lorsque l'appel à la stabilité lancé par l'opposition a tellement irrité le gouvernement. Il s'agira donc de savoir si le récit qu'Erdoğan fait de lui-même, à savoir qu'il est le seul à pouvoir surmonter les multiples crises de la Turquie, parviendra à mobiliser suffisamment. Le week-end dernier, 1,7 million de personnes ont tout de même assisté à des réunions électorales de l'AKP.
Du côté des électeurs, la question est en revanche de savoir si, après deux décennies d'AKP, un dernier mandat présidentiel garantira la stabilité nécessaire, ou si un changement est nécessaire.