Douce musique pour les Russes. Si, et quand, le vaccin russe était/sera validé à Bruxelles, «nous serions en mesure de fournir des doses pour 50 millions d'Européens à partir de juin 2021», a annoncé Kirill Dmitriev, patron du fonds souverain russe, qui a contribué au financement de la recherche.
L'Europe a jusqu'ici validé uniquement trois vaccins anti-Covid-19, ceux de Pfizer, de Moderna et d'Astrazeneca. Le 11 mars, le vaccin à une dose de Johnson&Johnson devrait recevoir son autorisation de mise sur le marché. L'arrivée potentielle de Spoutnik-V dans tous les pays de l'UE – Hongrie, République tchèque et Slovaquie, où une troisième vague fait des ravages, n'ont pas attendu l'autorisation de l'EMA – serait un incroyable retournement.
Car au départ, c'était presque une bonne blague, inimitable forfanterie russe: «Nous l'avons, nous sommes les premiers au monde à l'enregistrer», annonçait, le 11 août dernier, Vladimir Poutine, le triomphe peu modeste comme à sa martiale habitude. Le maître du Kremlin prétendait que les scientifiques russes avaient non seulement gagné la course internationale au vaccin contre le Covid-19, mais que la Russie, généreuse, ne se montrerait pas avare à l'international.
Elle allait offrir son vaccin à qui le voudrait, dans un sain esprit d'altruisme et de coopération – deux qualités qui ne caractérisent pas forcément la politique étrangère du poutinisme. En géopolitique, on nomme cela le soft power, ou comment se servir de capacités non militaires pour projeter sa puissance à l'étranger, et conquérir les cœurs autant que les esprits.
Cette géopolitique du vaccin qui se joue depuis les toutes premières semaines de la pandémie a, dans un premier temps, favorisé les compagnies pharmaceutiques occidentales d'un côté, et la Chine de l'autre.
Les trois premiers vaccins autorisés en Europe et aux Etats-Unis sont en effet ceux de l'américaine Pfizer, développé conjointement avec une petite société de biotechnologie allemande, Biontech, basée à Mayence sur le Rhin; le deuxième est produit par la start-up Moderna de Boston; enfin la solution (contestée par certains) de la firme suédo-britannique Astrazeneca a été développée principalement à l'Université d'Oxford. A noter que Moderna fait fabriquer ses doses pour l'Europe en Suisse (chez Lonza, à Viège, VS). La Chine, de son côté, vaccine sa propre population avec deux vaccins maison, qu'elle distribue gratuitement aux pays les moins avancés, principalement en Afrique, là aussi dans une logique bien comprise de soft power.
Beating the RDIF’s own forecast, 26, not 25, nations have become part of the #SputnikV family by the end of this week. The world needs more safe and effective vaccines. At the #SputnikV team we are looking forward to welcoming new family members soon. pic.twitter.com/Th7Y0rOLZW
— Sputnik V (@sputnikvaccine) February 12, 2021
Of all #CovidVaccines out there, #SputnikV is the only one with phase III results, proven platform, numerous approvals, advance orders and earliest deliveries. Ticks all the boxes, a true vaccine for all humankind.
— Sputnik V (@sputnikvaccine) March 4, 2021
See @Reuters vaccine scorecard. 👇https://t.co/HhXQDeib9z
A moins d'être un patriote russe convaincu par les sempiternelles forfanteries de Vladimir Poutine, personne ne misait donc trop sur Spoutnik-V pour lutter sérieusement contre le Covid-19. Et puis tout a changé.
Mardi 2 février. La revue médicale britannique de référence The Lancet publie des conclusions sans appel: Spoutnik-V est efficace à plus de 91% contre les formes symptomatiques du virus, ce qui le place dans le peloton de tête mondial. Pour l'Europe, qui l'avait écarté d'emblée, le dilemme immédiat: oui ou non? Dans un commentaire, la revue note, comme un rappel des épisodes précédents:
Le vaccin russe offre de surcroît une bonne tolérance avec des effets indésirables très limités, et affiche une efficacité impressionnante proche de celle des deux vaccins à ARN messager, et même une protection évaluée à 73% quinze jours après la première dose: en clair, Spoutnik-V est un champion.
Peu coûteux (environ 18 francs les deux doses), plus facile à conserver et à transporter que ses concurrents, le vaccin russe est prêt à partir à l’assaut du monde, au-delà des marchés qui lui paraissaient d’abord destinés, pays émergents et Etats amis.
Depuis les premières heures de la bataille pour trouver un vaccin, le Kremlin ne l'a jamais compris autrement: la Russie devait être la première et la meilleure. Comme à la grande époque de l'URSS, en pleine guerre froide.
Pour mieux souligner cet état d'esprit, on donne au projet un nom, Spoutnik, qui renvoie aux heures sublimes de de la conquête spatiale. En 1957, les Soviétiques sont les premiers à placer un satellite en orbite. Grillé de quelques jours, Washington s'étrangle d'indignation. C'est le temps mythique où le premier secrétaire du Politburo, Nikita Khrouchtchev, tape sur un pupitre à l'ONU, en pleine assemblée annuelle, en beuglant: «Nous allons vous enterrer!» (Мы вас похороним!) à l'intention d'un Occident médusé. Pendant les années 1960, apogée de la rivalité américano-soviétique, il existe, en effet, un doute: et si l'URSS l'emportait? On connaît la suite.
L’optimisme russe actuel sur le vaccin n’a rien de surprenant. Le pays s’appuie sur une tradition médicale et vaccinale ancienne et établie. Dans les années 1950 et 1960, l’URSS était en pointe dans la vaccination contre la poliomyélite. Son vaccin «vivant» s’était avéré plus efficace et plus facile à utiliser que ses homologues «à virus inactivé» fabriqués en Occident.
Face au Covid-19, plusieurs centres de recherche russes ont été mobilisés, raconte le quotidien Le Monde, y compris l’institut sibérien Vektor à Koltsovo, dans le fort lointain district de Novossibirsk, à l’origine d’un deuxième vaccin russe encore en phase de test. Le premier à annoncer des résultats positifs, dès mai 2020, est le centre Gamaleïa, dépendant du ministère de la santé. Dirigé par le biologiste Alexandre Guinzbourg, le laboratoire enregistrait des recherches prometteuses, dès 2014, sur un vaccin contre le virus Ebola. Il ne put toutefois jamais achever la totalité des tests réglementaires.
Spoutnik-V s’appuie, lui, sur la technique du «vecteur viral». Cette dernière, comme pour les vaccins à ARN messager, consiste à injecter une instruction génétique dans nos cellules et à les laisser produire l’antigène qui va lancer la réponse immunitaire. Sauf qu’il s’agit ici non pas d’ARN mais d’ADN, inséré dans le génome d’un adénovirus. C’est ce virus rendu inoffensif qui va porter le bout de ruban génétique jusqu’au noyau des cellules… et se désintégrer. Le fragment d’ADN de SARS-Cov-2 est alors pris en charge par la machinerie cellulaire pour produire l’antigène, en l’espèce, la fameuse protéine spike.