Rappelez-vous, en début d'année.
La réforme des retraites poussait Emmanuel Macron et le gouvernement Borne dans les cordes, après une overdose de 49.3 et des assauts policiers critiqués de toutes parts, jusqu'au Conseil de l'Europe. Face à eux, des syndicats à l'endurance inédite et des élus de gauche en état d'apoplexie, que ce soit sur les pavés ou dans l'hémicycle.
Embouteillages de manifestations, prises de parole continuelles, appels à «foutre le bordel», surchauffe des comptes de réseaux sociaux. Pour La France Insoumise, il s'agissait du combat du siècle, quitte à dévoiler un sérieux déficit de sommeil et de nuance. De Manuel Bompard à Sandrine Rousseau, jusqu'au jeune Louis Boyard, la tactique se résumait à foncer dans le lard et à réfléchir après. (Si on a le temps.)
Le pays s'était littéralement embrasé.
Qui se souvient de la réaction du Rassemblement national? Des déclarations de Marine Le Pen ou de Jordan Bardella, actuel président du parti? Compliqué, n'est-ce pas? Et pour cause. A l'Assemblée nationale, où le RN a planté méchamment sa tente aux dernières législatives, le mot d'ordre se résumait à un silence bien peigné et stratégique.
C'est d'ailleurs pire que cela.
En avril, Marine Le Pen s'était contentée de pointer calmement les gamineries de la Nupes, permettant de souligner son propre sérieux: «Nous avons fait tout ce qui était en notre pouvoir. Mais nous ne le faisons pas en nous roulant par terre, en faisant des guenilles, en brandissant des pancartes ou en transformant l'Assemblée nationale en ZAD».
Bien sûr, la formation d'extrême droite n'a jamais été la bienvenue dans les luttes syndicales. Mais la discrétion idéologique ne sera jamais dans son ADN, malgré le programme de banalisation en cours. En observant la gauche suffoquer dans sa colère bordélique et le pouvoir se retrancher derrière ses dernières armes constitutionnelles, Marine Le Pen et son bataillon avaient simplement fait le pari de laisser tout ce beau monde se ridiculiser parmi. Une stratégie gagnante, puisque Macron a encore un genou à terre et la gauche n'a toujours pas repris son souffle.
Dernier exemple en date, la rentrée des classes de la cheffe de file RN à l'Assemblée nationale, ce week-end, à Hénin-Beaumont dans le Pas-de-Calais. En mode avion tout l'été, Marine Le Pen a décidé de dépoussiérer son cartable dans son fief, en faisant un tintamarre de tous les diables. Des attaques frontales contre Macron le «monarque» et son «subtil mélange de marketing et de malhonnêteté». Sans oublier quelques coups de pied aux fesses des ministres Darmanin et Dupont-Moretti.
En ligne de mire, la campagne pour les élections européennes de 2024. Jordan Bardella vient d'annoncer (sans surprise) qu'il sera tête de liste RN, alors que Marion Maréchal, nièce de, vient d'empoigner celle du mouvement Reconquête! d'Eric Zemmour. Un duel qui s'annonce explosif, mais qui ne semble pas inquiéter la patronne: «Ce n’est une surprise pour personne».
Dimanche, sa base a aussi eu droit à un discours ferme, sinon agressif, sur ses thèmes de prédilection: flux migratoire, sécurité, pouvoir d'achat. En rappelant au passage que «40% des Français les plus modestes renoncent à un repas, un tiers à des soins médicaux».
Un retour en force. Or, ce qui fera s'étrangler la gauche dimanche, et durant plusieurs heures, c'est une photo. On y découvre Marine Le Pen, sourire Colgate, dans une Coccinelle bleu pétrole, faisant coucou à l'objectif de la main droite.
Pour Sandrine Rousseau (et beaucoup d'autres élus de gauche), c'est une référence volontaire au nazisme. Lever le bras, qui plus est dans la fameuse voiture du peuple, c'est certain, Marine Le Pen devait penser très fort à Hitler en cette rentrée caniculaire.
Le point Godwin embrassé par l'élue écologiste permettra évidemment à son tweet de féconder un débat nourri, mais par des ingrédients indigestes. Sur le terrain des idées et sur le fond du retour de Marine Le Pen, ce fut le désert complet. Quelques jours plus tôt, toute la gauche s'était offusquée des 10 millions offert par le riche Bernard Arnault, à des Restos du Cœur en grande difficulté financière. Encore aujourd'hui, et depuis les élections législatives, tout le monde joue donc le rôle qu'il a bien voulu s'offrir.
Et pour le plus grand bonheur de la Dame en Coccinelle. Dans un sondage commandé par Libération, on apprend (encore une fois sans grande surprise) que la fille de Jean-Marie Pen bénéficie d'un capital sympathie dangereusement en hausse.
Dans la même veine, 41% des Français la jugent «proche des gens», alors que 42% lui trouvent une «stature de cheffe d'État» (+ 14 points). Une crédibilité qu'elle travaille au corps depuis plusieurs années, sur un fil d'équilibriste. Sans froisser les fidèles d'un RN sans concession, l'objectif est de poncer subtilement quelques aspérités pour terminer de séduire les derniers hésitants d'une droite qui n'en finit plus de s'effondrer, notamment dans le rang des Républicains.
Après une dédiabolisation qui a déjà fait ses preuves, l'extrême droite française retape donc ses fondations au point de passer désormais pour la gardienne des vénérables institutions. Une extrême droite qui serait devenue non seulement convenable, mais fiable. Marine Le Pen, qui disait au journaliste de Tamedia Alain Rebetez qu'elle est «là pour être présidente de la République» (malgré ses trois échecs), veut croire que les vociférations de la gauche et l'impopularité d'un Macron sifflé où qu'il se déplace, continueront à la présenter naturellement comme l'élue d'une France qui demande un leader solide, un shoot de sérénité et un grand coup de balai.
Indubitable «gagnante des émeutes», surfant sur les pulsions de violences récupérées à cadence industrielle par ses ennemis (l'affaire Nahel en est le parfait exemple), Marine Le Pen est même utilisée par Gérald Darmanin, qui affûte maladroitement ses armes pour se profiler en 2027. Le 24 août, dans un entretien donné à la Voix du Nord, le ministre de l'Intérieur appelait son parti à se rappeler au bon souvenir «des classes populaires et moyennes».
En Français dans le texte, Marine n'est plus brandie comme une poupée Chucky, mais présentée comme une adversaire crédible et redoutable. Et sans avoir à lever, non pas le bras droit, mais le petit doigt. «Quel besoin a-t-elle de s’exposer? Elle monte alors qu’elle ne fait rien, elle a tout intérêt à se tenir tranquille», disait encore fin août, une proche à l'Express.
Pendant que la gauche rivalise d'ingéniosité pour se tromper quasi chaque semaine de débat, Edouard Philippe se profile comme le seul rempart crédible à cette extrême droite planquée dans un costume de Teletubbies. Certes, 2027 est encore loin, mais l'ancien ministre d'Emmanuel Macron, aujourd'hui en froid avec son mentor, possède les épaules, l'expérience et la confiance des Français.
Les récents sondages placent le fondateur du parti Horizons en grand favori. Sans oublier qu'il partage avec Marine Le Pen l'intelligence de ne pas s'abîmer dans les polémiques et, bientôt, le départ d'un punching-ball commun: le président de la République.
Depuis qu'elle s'est libérée de la présidence de son parti, Marine Le Pen prend ses aises et s'entraîne quotidiennement devant le miroir à paraître respectable. Or, le reflet ne suffira pas, l'élection présidentielle n'étant pas un simple dîner chez la belle-famille.
Durablement décrédibilisée par ses accointances avec le régime de Poutine et toujours en guerre avec ses propres compétences en politique économique, la discrétion ne pourra pas être son arme fatale jusqu'en 2027. Toujours selon l'institut Viavoice, elle reste jugée non crédible sur les questions de pouvoir d'achat, d'éducation et d'emploi.
Enfin, pour les camps adverses, il s'agira de placer sa dangerosité ailleurs que dans l'habitacle d'une adorable petite bagnole allemande.
Toujours de magnifiques voitures de collection à « Hénin rétro » ! 😉 pic.twitter.com/xUCaNlBm3x
— Marine Le Pen (@MLP_officiel) September 10, 2023