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Pourquoi Poutine est prêt à tout pour la mer Baltique

Poutine et la mer Baltique.
Jusqu'où ira Poutine pour le contrôle de la mer Baltique?keystone / shutterstock (montage watson)
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Cette mer est une épine dans le pied de Poutine

L'ombre de la guerre en Ukraine s'étend également sur la mer Baltique. Poutine n'a pas oublié que la zone était sous influence russe durant l'époque tsariste. Aujourd'hui, c'est plutôt l'Otan qui la contrôle et ça l'énerve.
04.06.2023, 08:0004.06.2023, 11:34
Patrick Diekman
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Le Conseil des Etats de la mer Baltique, aussi appelé «Conseil de la Baltique», est une organisation internationale regroupant les intérêts des pays dont les pieds baignent dans cette froide mer du Nord de l'Europe. Elle compte actuellement dix membres: l'Allemagne, le Danemark, la Pologne, les pays baltes, la Finlande, la Suède, le Danemark et même l'Islande.

Mer Baltique

Jusqu'en 2022, elle en comptait onze. Mais en mars 2022, l'un d'entre eux a été suspendu: la Russie. En cause: l'invasion de l'Ukraine. En mai de la même année, Vladimir Poutine décide de claquer la porte de l'organisation.

Un article de
t-online

L'influence de Moscou sur les mers du Nord a commencé à s'affaiblir dès la fin de la Guerre froide. Aujourd'hui, elle est quasiment inexistante. Et ce, d'autant plus depuis que la Suède et la Finlande ont souhaité rejoindre l'Organisation du traité de l'Atlantique nord (Otan).

Aujourd'hui, la Baltique est quasiment une mer sous contrôle de l'alliance militaire nord-atlantique. Ce développement fait monter les tensions géopolitiques de la région entière. Mais pourquoi la mer Baltique est-elle si importante pour les forces en présence? Décryptage.

Saint-Pétersbourg, la porte russe de la Baltique

La Baltique a une histoire animée, souvent marquée par des guerres entre l'est et l'ouest du Vieux Continent. Jadis, elle était une région dévolue aux pêcheurs et aux marchands d'ambre. Alors que le commerce prend en importante en Europe, ses rives deviennent très contestées en raison de l'importance du contrôle des routes maritimes.

L'importance de la mer Baltique pour la Russie est pourtant une constante de géostratégie depuis des siècles. C'est Pierre le Grand, fondateur de Saint-Pétersbourg qui porte son nom, qui établit la domination russe dans la région après avoir vaincu la Suède en 1721, au terme d'un conflit qui aura duré plus de 20 ans.

La cité, qui supplante Moscou comme capitale, profite de sa localisation et la Russie tsariste se développe en lien direct avec les aristocraties occidentales. L'Empire russe devient alors une grande puissance européenne. Il en va sans dire que pour Vladimir Poutine, Pierre le Grand est un modèle.

Une mer polluée par la guerre

Au 20e siècle viennent la Première Guerre mondiale, puis la révolution d'Octobre. Au début de la Seconde Guerre mondiale, Joseph Staline décide de renforcer sa domination en attaquant la Finlande en novembre 1939: c'est la Guerre d'hiver. Tout comme avec l'Ukraine en 2022, les Soviétiques pensaient prendre le petit pays en quelques semaines. C'est raté: l'armée rouge doit se retirer en mars 1940, après cinq mois d'une résistance acharnée de la part des Finlandais.

De nombreuses batailles navales éclatent en mer Baltique. Des mines et épaves, voire des armes chimiques, gisent encore au fond de la mer. Cela fait de la mer Baltique l'une des plus polluées du monde.

En 1945, après la défaite de l'Allemagne nazie, l'Union soviétique et ses satellites du Pacte de Varsovie se prolongent jusqu'en Allemagne de l'Est. La mer Baltique devient un facteur économique de première importance pour le Bloc de l'Est: l'URSS y réalise plus de 20% de ses exportations marchandes.

«Rysskräck»

Pour de nombreux pays de la région, la domination soviétique et la menace nucléaire qui ont caractérisé la guerre froide ont provoqué un traumatisme qui perdure encore aujourd'hui. La Suède a même créé un mot caractérisant la méfiance, mais aussi la crainte envers les Russes: «Rysskräck». Littéralement: russophobie.

Plusieurs épisodes viennent rappeler à la Suède que le grand ours russe n'est pas loin. En octobre 1981, un sous-marin soviétique s'échoue à quelques kilomètres à peine de Karlskrona, le plus important port militaire suédois, après avoir percuté un récif. La Russie envoie une flotte récupérer son navire, ce qui provoque des accrochages entre Russes et Suédois, qui craignent une guerre ouverte. Stockholm finira par faire remorquer le bâtiment jusqu'aux eaux internationales.

Mais le mal est fait: la Suède se rend compte que les Russes peuvent facilement entrer dans leurs eaux territoriales. Le pays modifie sa politique de défense en profondeur, réactive des bases militaires et place des troupes sur des îles stratégiques.

D'autres «sous-marins» russes en Suède:

Bien plus tard, en octobre 2014, l'histoire se répète: un sous-marin russe endommagé fait surface à proximité de Stockholm. Les faits ont lieu quelques mois après l'annexion de la Crimée par la Russie, ce qui suscite de nouvelles craintes en Suède.

Une protection face à l'ours russe

La Suède n'est pas la seule à avoir peur. Les Etats baltes et la Pologne avertissent depuis des décennies que Poutine n'hésiterait pas à prendre la voie militaire pour atteindre ses objectifs de politique étrangère. Les Estoniens ont même une expression qui dit que ceux qui ne s'assoient pas à la table des négociations «finissent sur le menu», mangés par Poutine.

Ce que ce pays balte pense de la Russie 👇

Pour la Russie, la progression de l'Otan dans la région de la Baltique après la chute du Rideau de fer s'explique par une volonté d'expansion de l'Occident. Mais pour les Etats d'Europe de l'Est et du Nord, il s'agit de rien de moins que de se protéger de son voisin russe. La Suède et la Finlande ont décidé d'adhérer à l'Otan après l'invasion de l'Ukraine par Poutine: on pourrait presque dire que le maître du Kremlin a, malgré lui, renforcé l'alliance militaire de l'Atlantique nord.

L'avantage de Kaliningrad

Pour l'Otan, le contrôle de la mer Baltique représente de nombreux défis. L'Alliance doit désormais protéger les eaux territoriales de neuf pays membres tout en sécurisant les voies maritimes dans les eaux internationales. Les explosions du gazoduc Nord Stream 2 en mer du Nord ont aussi montré à quel point les pipelines et les câbles sous-marins peuvent être vulnérables en mer Baltique.

La Russie ne dispose plus d'aucun allié sur la mer Baltique. Malgré tout, le pays a un avantage: l'enclave de Kaliningrad, entre la Pologne et la Lituanie. Ce qui permet à la Russie d'avoir un deuxième port important sur la Baltique, qui ne craint d'ailleurs pas d'être pris sous la glace en hiver et est beaucoup plus proche du reste de l'Europe occidentale.

L'Otan renforce sa présence

Depuis le début de la guerre en Ukraine, l'Otan a renforcé sa présence sur la Baltique. Des frégates, des bateaux chasseurs de mines et des sous-marins allemands et français sont désormais actifs dans la région afin de faire de la reconnaissance et de sécuriser le flanc nord de l'Otan.

Dernièrement, le porte-avions américain Gerald R. Ford – le plus grand navire de guerre du monde – a jeté l'ancre dans le fjord d'Oslo. C'est une démonstration de force et un signal clair à Poutine que l'Otan n'est pas loin et garde un œil sur son territoire.

Cette situation pourrait être une épine dans le pied du chef du Kremlin pour de nombreuses raisons, puisqu'il n'a pas vraiment de quoi s'opposer à la surpuissance de l'Otan en mer. Pour celui qui considère historiquement la zone comme d'influence russe, c'est aussi certainement une grande source de frustration.

Forces et faiblesses de la marine russe

Comparée à ses forces terrestres et aériennes, la marine russe est d'ailleurs plutôt faible. Le seul porte-avions de Poutine – l'«Amiral Kouznetsov» – est en réparation depuis 2018 et n'est pas opérationnel. Le Kremlin a toutefois déplacé la frégate «Amiral Grigorovitch», peut-être le navire de guerre russe le plus moderne qui soit, en mer Baltique. En outre, la marine russe dispose à Saint-Pétersbourg et Kaliningrad de forces maritimes et aériennes significatives et de positions de missiles «qui doivent être prises au sérieux», selon l'armée allemande.

Mais la Russie est également consciente de sa vulnérabilité. Elle réagit par des menaces, notamment celles d'armes nucléaires, qu'elle souhaite installer en Biélorussie. Le Kremlin menace également de transférer des armes de destruction massive à Kaliningrad, bien que la plupart des experts estiment qu'elles y sont déjà installées depuis longtemps.

Des jeux de pouvoir dangereux

L'Otan ne se laisse néanmoins pas impressionner par les menaces russes. Des avions de combat occidentaux repoussent d'ailleurs régulièrement des avions russes au-dessus de la Baltique, qui volent volontairement au-delà de leur espace aérien.

Toute l'histoire ici:

En mars 2023, en réponse à ces provocations, les Américains décident de faire passer un message aux Russes: ils font voler deux bombardiers stratégiques de l'époque de la guerre froide en direction de Saint-Pétersbourg. Tout un symbole. Les avions de combat russes les interceptent et ceux-ci retournent à leur base sans incident.

De tels jeux de pouvoir se produisent de plus en plus souvent au-dessus de la mer Baltique, obligeant les jets de combat occidentaux à intervenir régulièrement. Ces interventions se sont jusqu'à présent déroulées sans heurts et sans incident. Mais la militarisation croissante et les tensions géopolitiques autour de la mer Baltique font craindre un risque d'incidents — et menacent la paix.

Traduite et adapté de l'allemand par Léa Krejci

Les gosses russes aiment les flingues (à blanc)
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Les gosses russes aiment les flingues (à blanc)
Il y a l'enthousiaste...
source: ap / dmitri lovetsky
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Le Russe qui a sauvé le monde
En 1983, la situation n'avait jamais été aussi tendue entre la Russie et les pays de l'Otan. Récit du jour où tout aurait pu basculer pour l'humanité.

Stanislav Petrov n'est qu'un remplaçant lorsqu'il prend son service dans la nuit du 26 au 27 septembre 1983. Le lieutenant-colonel dépanne son collègue malade. Son poste représente alors l'une des activités les plus importantes aux yeux des forces armées soviétiques, à savoir la surveillance par satellite dans un centre d'alerte précoce aux missiles. Le tout dans le plus grand secret.

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