watson: comment l'armée finlandaise a-t-elle vécu l'adhésion du pays à l'Otan?
Niko*: pour commencer, je souhaite souligner que mes propos n'engagent que moi. D'aussi loin que je me souvienne, l'ambiance au sein de l'armée finlandaise a toujours été très favorable à l'Otan. Ces dernières semaines, le personnel a simplement attendu les ratifications turques et hongroises, patiemment ou non, comme le reste de la population.
Quelle a été votre réaction, et celle de vos collègues au sein de l'armée, lorsque le feu est passé au vert?
Lorsque cela s'est enfin produit, il n'y a pas eu de grandes célébrations ou de fêtes. Certaines personnes ont bu un verre toutes seules, tandis que d'autres se sont contentées d'un café de «célébration», ce qui est très Finlandais.... Par contre, beaucoup de joie a été partagée sur les réseaux sociaux, sur Facebook ou dans les groupes Whatsapp. C’est aussi très... Finlandais, je pense.
Est-ce que la majorité des Finlandais soutient ce rapprochement stratégique?
Mon estimation globale est que bien plus que 50% des Finlandais soutient l'adhésion à l'Otan depuis le début de l'invasion russe, l'année dernière. Il s'agit d'un grand changement car, selon certaines sources officielles, seuls 26% des Finlandais étaient favorables à la rejoindre en 2021.
Comment les Finlandais appréhendaient leurs relations avec leurs voisins avant 2022?
La population avait conservé l'attitude de l'ère soviétique selon laquelle «nous devons nous entendre avec les Russes et ne pas les irriter». Elle pensait qu'ainsi, nous pourrions vivre en paix, comme nous l'avions fait des décennies auparavant.
Et que choisir l'alliance pourrait nous donner les meilleures chances d'éviter un conflit avec les Russes. Ou, dans le pire des cas, d'obtenir l'aide et le soutien dont nous avons besoin pour combattre les Russes, si nous en arrivons là.
Avez-vous des collègues ou des amis qui étaient opposés à un rapprochement entre la Finlande et l'Otan?
Nous faisons partie du programme «Partenariat pour la paix» (PFP) depuis des années. Nous avons participé à des exercices de l'organisation, ainsi qu’à des entraînements conjoints tout au long de ma carrière; pour nous, il ne s'agit donc pas d'un changement si radical.
Dans les différents pays d’Europe, l’émotion est assez intense depuis 2022. Quels sont les sentiments dominants au sein de l'armée finlandaise à l'égard de la Russie?
L'armée finlandaise n'a jamais été divisée à propos de la Russie. Au contraire, les forces de défense sont très unies.
Ce qui était une «surprise» pour la population ne l’était pas vraiment pour l'armée finlandaise. On s'est toujours attendus à ce que les Russes fassent exactement ce qu'ils ont fait en Ukraine.
Et au sein de la population?
Les sentiments à l'égard de la Russie sont très négatifs au sein de la population finlandaise. Celle-ci est opposée à l'invasion russe, et nous soutenons l'Ukraine en lui apportant une aide économique et militaire. De nombreuses organisations bénévoles fournissent du soutien. J'ai personnellement acheté, avec mon collègue, un générateur et des bidons d'essence pour les civils ukrainiens, qui ont fini dans une école primaire ukrainienne. J'ai aussi envoyé du matériel militaire à destination de Kiev. Certaines personnes ont même réparé et envoyé de vieux camions militaires, chargés de matériel.
Cette adhésion pourrait faire monter les tensions et crisper les fronts. Ne craignez-vous pas des frictions à la frontière?
Personnellement, je ne m'attends pas à ce qu'il se passe quoi que ce soit aux frontières dans un avenir proche. Plus maintenant.
La plupart des grandes bases militaires russes situées le long de la frontière finlandaise ont été vidées de leurs troupes. Elles ont été envoyées en Ukraine, et ont subi de lourdes pertes. Certaines bases ont perdu plus de la moitié de leurs effectifs. En général, les militaires finlandais savent où se trouvent ces Russes, et quelles sont leurs forces. Et à l'heure actuelle, les Russes ne sont pas en mesure de mener une quelconque «attaque surprise» sans que l'ensemble de l'Otan n'en soit informé. Avant même la date d'adhésion, il y a quelques semaines, l'avion RC-135 de l'armée de l'air américaine chargé de recueillir des renseignements électroniques a effectué son premier vol dans l'espace aérien finlandais. Le message est clair:
Comment l'armée s'est-elle mise à niveau pour se préparer à cette adhésion ces derniers mois?
Je n'ai pas l'intention d’en dévoiler trop sur cette question. L'armée finlandaise continuera à faire ce qu'elle a toujours fait. Depuis le printemps dernier, des troupes de l'Otan ou des Etats-Unis se sont entraînées en continu avec différentes branches en Finlande, et les médias en ont largement fait état.
Quels sont les changements attendus?
Pour l'instant, nous ne savons pas comment et à quel point cette adhésion affectera notre armée. Celle-ci a déjà effectué son plus gros achat militaire (chasseurs F-35) avant d'adhérer, et nous consacrions déjà presque 2% de notre PIB aux dépenses militaires et à la défense. Dans le futur, l'armée finlandaise poursuivra sa mission de protection des frontières et d'intégrité territoriale comme à l'accoutumée, et nous maintiendrons notre conscription à l'échelle nationale. Nous ne nous attendons pas à ce que beaucoup de choses changent. Certainement que nous participerons à plus d'exercices conjoints.
Mais je suis très optimiste, et j'ai personnellement hâte de m'entraîner avec les alliés à l'intérieur des frontières finlandaises et dans d'autres pays.
Vous semblez très optimiste, en effet!
Je suis très heureux de l'adhésion à l'Otan.
Les relations entre les Russes et le monde occidental, y compris la Finlande, sont au plus bas, et je ne pense pas que les choses vont changer de sitôt. Les Russes ont eux-mêmes provoqué notre adhésion à l'Otan, et ces mauvaises relations sont de leur fait.
La Finlande dispose d'une armée très puissante. Alors... pensez-vous que l'alliance a de la chance de bénéficier de votre expérience et de vos atouts?
Tout d'abord, la Finlande est l'un des rares pays européens à ne s'être jamais débarrassé de sa conscription obligatoire. Nous disposons d'une armée très puissante en temps de guerre. Elle compte plus de 280 000 soldats, dont plus de 900 000 en réserve. Nos corps d'artillerie sont également les plus puissants d'Europe. Nous disposons de l'une des forces aériennes les plus puissantes et les plus modernes d'Europe, avec 62 avions de combat F/A-18. De nouveaux avions de combat F-35 arriveront entre 2026 et 2030, un vrai atout par rapport aux pays baltes de l'alliance qui n'ont pas d'avions de combat du tout. Alors oui, je pense que l'Otan a de la chance de nous avoir. Mon opinion personnelle est que...
Et je pense que la Finlande a trouvé un partenaire fort avec beaucoup de ressources militaires et une couverture, un soutien et une aide militaire fournis par l'article 5 de l'Otan en cas de besoin. Je pense personnellement que l'adhésion de la Finlande a stabilisé l'Europe du Nord et la Scandinavie pour les années à venir, et que les Russes y réfléchiront à deux fois avant d'entamer les hostilités.
Ce sont des mots forts...
Je pourrais exagérer un peu et dire que l'adhésion de la Finlande à l'Otan a probablement sauvé la vie de centaines de milliers de personnes, des deux côtés, parce qu'il est maintenant beaucoup moins probable qu'il y ait une guerre majeure avec les Russes dans un avenir proche. Quoi qu'il en soit, l'armée finlandaise va se renforcer, s'entraîner davantage avec les alliés de l'Otan. De façon générale, la Finlande fera de son mieux pour maintenir la paix et la stabilité en Scandinavie. J'espère vraiment que tout cela restera ainsi... Nous ne seront «plus jamais seul», comme le disait le général Adolf Ehrnrooth, vétéran de la guerre d'hiver.
*prénom d'emprunt