Il se tient droit, la jambe droite légèrement pliée, la main droite glissée sous sa veste à hauteur de poitrine. Staline, d'un blanc presque aveuglant. Pour son 90e anniversaire, le métro de Moscou a fait reconstituer l'effigie du boucher soviétique.
Quelqu'un a déposé deux œillets rouges aux pieds de Staline, quatre gardes sont appuyés contre le mur. Une femme en veste jaune se rapproche de l'ex-dictateur, moulé dans la pierre artificielle, et reste devant lui un long moment. Un homme en chaussures vertes prend rapidement une photo, puis poursuit son chemin.
Cette sculpture, qui ressemble à un souvenir bon marché, s'inscrit dans l'esprit du pays. La Russie s'adonne de toute son âme au culte de la personnalité, celui du dirigeant du Kremlin, et s'attribue pratiquement à elle seule le mérite de la victoire de la Seconde Guerre mondiale. En attendant la prochaine victoire, celle de la guerre en l'Ukraine.
Sur les canaux Telegram russes, on trouve des vidéos montrant des personnes faisant le signe de croix et s'agenouillant devant le relief. Ceux qui placent des photos avec des textes critiques à côté de Staline sont aussitôt arrêtés par la police. Ils auraient manifesté sans autorisation, dit-on. Critiquer Staline, c'est critiquer la victoire de 1945. Et critiquer la victoire, ce n'est pas prévu dans le pays.
Il n'y a même plus besoin d'inaugurer en grande pompe un nouveau monument dédié au «père de la nation». Un «père» qui a affamé et fusillé son peuple dans des goulags, qui a brisé toute une société, de sorte qu'elle souffre encore aujourd'hui des conséquences des traumatismes subis à l'époque, tout en les niant souvent.
Cette nouvelle conquête se fait en silence, presque en dilettante, et sans plaintes ni récriminations de la part du peuple. Moscou a normalisé le culte de la violence, et les gens suivent sans se poser de questions. C'est ce que l'analyste politique Andreï Kolesnikov appelle une «auto-stalinisation»
Pour certains, il ne s'agit donc que d'art pur. Mais Elizaveta Likhatcheva, la directrice récemment évincée du musée Pouchkine de Moscou, a qualifié le relief «d'œuvre de bricolage». L'observateur politique exilé Alexandre Baunov a, lui, aussitôt reproché la normalisation des crimes de l'ancien dictateur, avec de telles démonstrations.
Au cours des six derniers mois, neuf monuments à la mémoire de Staline ont été inaugurés à travers la Russie. Voilà est qui est très bien vu par Vladimir Medinski, le conseiller du Kremlin pour ce qui a trait à l'Histoire. Medinski a mené les négociations avec l'Ukraine à Istanbul, et n'a été que le messager des exigences irréalisables de la Russie pour arriver à un processus de paix. Il disait dans un interview:
Depuis longtemps, la Russie réhabilite le meurtrier de masse en lui attribuant les rôles de manager efficace, de leader fort et de grand vainqueur.
Vladimir Poutine a même récemment fait rebaptiser l'aéroport de Volgograd Stalingrad. Désormais, on trouve également un Staline dans la station de métro «Taganskaya» à Moscou. Pendant des années, on ne trouvait qu'un mur, à cette jonction de la ligne circulaire et de la ligne violette. Désormais, des milliers de pendulaires passent chaque jour devant le relief, avec Staline en son centre. Sur la place Rouge, l'ancien généralissime est également représenté, entouré d'une foule en liesse, hommes, femmes, enfants, avec ou sans fleurs.
Lorsqu'il a été inauguré, en 1950, le relief moulé avec du plâtre s'intitulait Reconnaissance du peuple envers le dirigeant et chef de guerre. A l'époque, dix des douze stations de la ligne circulaire du métro étaient ornées de statues représentant Staline, sur des reliefs, des mosaïques ou des paroles de chansons. En 1955, les représentations étaient en faïence, et onze ans plus tard, tout a finalement été démantelé. C'était à cette époque que l'Union soviétique a voulu se libérer du culte de la personnalité voué à Staline.
Mais les mécanismes du stalinisme ont survécu, et sont encouragés dans la Russie d'aujourd'hui. Les pères dénoncent leurs fils, les voisins dénoncent leurs voisins aux autorités, au travail on dénonce ses propres collègues. On inculque aux élèves le fait d'être constamment attentifs, et de signaler immédiatement les «étrangers». La peur n'a jamais disparu de la société russe.
Pendant ce temps, le parti libéral Yabloko, qui existe toujours et qui est finalement la seule opposition, recueille des signatures pour le démantèlement de Staline à Taganskaya. Mais l'intérêt est faible. L'esprit de Staline a depuis longtemps été absorbé par le système de Poutine.
Traduit de l'allemand par Joel Espi