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Cette statue dans le métro moscovite en dit long sur la Russie

epa12102622 A man takes a photo with a mobile phone of the replica of the high relief of Soviet leader Joseph Stalin during celebrations of the 90th anniversary of Moscow Metro at the Taganskaya metro ...
La nouvelle sculptpure de Staline trône fièrement dans le métro moscoviteImage: keystone
Analyse

Cette statue dans le métro moscovite en dit long sur la Russie

Une statue de Staline, l'ex-dictateur soviétique, a été inaugurée dans le métro moscovite. Une preuve de plus de la dérive du pays.
29.05.2025, 07:0829.05.2025, 07:08
Inna Hartwich, Moscou / ch media
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Il se tient droit, la jambe droite légèrement pliée, la main droite glissée sous sa veste à hauteur de poitrine. Staline, d'un blanc presque aveuglant. Pour son 90e anniversaire, le métro de Moscou a fait reconstituer l'effigie du boucher soviétique.

Quelqu'un a déposé deux œillets rouges aux pieds de Staline, quatre gardes sont appuyés contre le mur. Une femme en veste jaune se rapproche de l'ex-dictateur, moulé dans la pierre artificielle, et reste devant lui un long moment. Un homme en chaussures vertes prend rapidement une photo, puis poursuit son chemin.

Police officers stand at the passage between stations as a cameraman films a restored 1960 High relief "The Gratitude of the People to Leader-Commander" depicting Soviet leader Joseph Stalin ...
Intitulée «La gratitude du peuple envers le chef-commandant», cette fresque a été inaugurée le mercredi 21 mai 2025, à l'occasion du 90e anniversaire de l'ouverture du système de métro de Moscou.Image: AP

Critiquer Staline, c'est critiquer la Victoire

Cette sculpture, qui ressemble à un souvenir bon marché, s'inscrit dans l'esprit du pays. La Russie s'adonne de toute son âme au culte de la personnalité, celui du dirigeant du Kremlin, et s'attribue pratiquement à elle seule le mérite de la victoire de la Seconde Guerre mondiale. En attendant la prochaine victoire, celle de la guerre en l'Ukraine.

Sur les canaux Telegram russes, on trouve des vidéos montrant des personnes faisant le signe de croix et s'agenouillant devant le relief. Ceux qui placent des photos avec des textes critiques à côté de Staline sont aussitôt arrêtés par la police. Ils auraient manifesté sans autorisation, dit-on. Critiquer Staline, c'est critiquer la victoire de 1945. Et critiquer la victoire, ce n'est pas prévu dans le pays.

Il n'y a même plus besoin d'inaugurer en grande pompe un nouveau monument dédié au «père de la nation». Un «père» qui a affamé et fusillé son peuple dans des goulags, qui a brisé toute une société, de sorte qu'elle souffre encore aujourd'hui des conséquences des traumatismes subis à l'époque, tout en les niant souvent.

epa12102612 People walk in front of the replica of the high relief of Soviet leader Joseph Stalin during celebrations of the 90th anniversary of Moscow Metro at the Taganskaya metro station in Moscow, ...
Russie, c'est ce qui écrit sur la veste de ce visiteur probablement admiratif.Image: keystone

Cette nouvelle conquête se fait en silence, presque en dilettante, et sans plaintes ni récriminations de la part du peuple. Moscou a normalisé le culte de la violence, et les gens suivent sans se poser de questions. C'est ce que l'analyste politique Andreï Kolesnikov appelle une «auto-stalinisation»

La normalisation d'un dictateur

Pour certains, il ne s'agit donc que d'art pur. Mais Elizaveta Likhatcheva, la directrice récemment évincée du musée Pouchkine de Moscou, a qualifié le relief «d'œuvre de bricolage». L'observateur politique exilé Alexandre Baunov a, lui, aussitôt reproché la normalisation des crimes de l'ancien dictateur, avec de telles démonstrations.

Au cours des six derniers mois, neuf monuments à la mémoire de Staline ont été inaugurés à travers la Russie. Voilà est qui est très bien vu par Vladimir Medinski, le conseiller du Kremlin pour ce qui a trait à l'Histoire. Medinski a mené les négociations avec l'Ukraine à Istanbul, et n'a été que le messager des exigences irréalisables de la Russie pour arriver à un processus de paix. Il disait dans un interview:

«Staline est populaire parce qu'il reflète l'aspiration naturelle d'un homme à vivre dans un grand pays»

Depuis longtemps, la Russie réhabilite le meurtrier de masse en lui attribuant les rôles de manager efficace, de leader fort et de grand vainqueur.

Vladimir Poutine a même récemment fait rebaptiser l'aéroport de Volgograd Stalingrad. Désormais, on trouve également un Staline dans la station de métro «Taganskaya» à Moscou. Pendant des années, on ne trouvait qu'un mur, à cette jonction de la ligne circulaire et de la ligne violette. Désormais, des milliers de pendulaires passent chaque jour devant le relief, avec Staline en son centre. Sur la place Rouge, l'ancien généralissime est également représenté, entouré d'une foule en liesse, hommes, femmes, enfants, avec ou sans fleurs.

Staline a survécu jusqu'à Poutine

Lorsqu'il a été inauguré, en 1950, le relief moulé avec du plâtre s'intitulait Reconnaissance du peuple envers le dirigeant et chef de guerre. A l'époque, dix des douze stations de la ligne circulaire du métro étaient ornées de statues représentant Staline, sur des reliefs, des mosaïques ou des paroles de chansons. En 1955, les représentations étaient en faïence, et onze ans plus tard, tout a finalement été démantelé. C'était à cette époque que l'Union soviétique a voulu se libérer du culte de la personnalité voué à Staline.

Mais les mécanismes du stalinisme ont survécu, et sont encouragés dans la Russie d'aujourd'hui. Les pères dénoncent leurs fils, les voisins dénoncent leurs voisins aux autorités, au travail on dénonce ses propres collègues. On inculque aux élèves le fait d'être constamment attentifs, et de signaler immédiatement les «étrangers». La peur n'a jamais disparu de la société russe.

Pendant ce temps, le parti libéral Yabloko, qui existe toujours et qui est finalement la seule opposition, recueille des signatures pour le démantèlement de Staline à Taganskaya. Mais l'intérêt est faible. L'esprit de Staline a depuis longtemps été absorbé par le système de Poutine.

Traduit de l'allemand par Joel Espi

Vladimir Poutine dans tous ses états
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Vladimir Poutine dans tous ses états
Poutine en mode chasseur, 2010.
source: ap ria novosti russian governmen / dmitry astakhov
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