Le mois dernier, le président turc Recep Tayyip Erdogan a rencontré le chef du Kremlin Vladimir Poutine dans la capitale ouzbèke Samarkand. La prochaine rencontre est déjà prévue à Astana, la métropole du Kazakhstan. Le rendez-vous est fixé à la Conférence sur la coopération et les mesures de confiance en Asie (CICA). Erdogan veut servir de médiateur entre la Russie et l'Ukraine. Il en va également de son propre avenir politique.
Dans la capitale kazakhe, Erdogan se présentera une fois de plus dans son rôle favori, celui du médiateur. D'un côté, le chef de l'Etat turc se présente comme un partenaire indispensable au sein de l'OTAN. De l'autre, il flirte désormais avec l'adhésion à l'Organisation de coopération de Shanghai (OCS), une sorte d'anti-OTAN dirigée par la Russie et la Chine.
Erdogan semble particulièrement à l'aise dans ces deux cercles. Lors du dernier sommet de l'OCS en septembre à Samarkand, il a posé tout sourire avec des dictateurs comme le dirigeant biélorusse Loukachenko et le président iranien Ebrahim Raisi, qui réprime brutalement les manifestations de femmes dans son pays.
Erdogan s'entend particulièrement bien avec Poutine. Les deux hommes se connaissent bien, ils fonctionnent de la même manière et se respectent. Poutine a besoin d'Erdogan comme «son homme» au sein de l'OTAN. Le chef de l'Etat turc bloque depuis des mois l'adhésion de la Suède et de la Finlande à l'alliance.
La Turquie est également importante aux yeux de Poutine, car elle est un pont rêvé vers l'Occident. La Turquie contourne certaines mesures pénales. Elle prend le relais lorsque les entreprises occidentales ne peuvent plus livrer leurs produits en raison des sanctions.
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— BFMTV (@BFMTV) October 14, 2022
Erdogan ordonne au gouvernement turc de commencer à travailler sur le hub gazier proposé par Poutine https://t.co/6X7WDbALlV pic.twitter.com/maMoimsWYT
La Russie couvre 40% des besoins en gaz naturel de la Turquie et plus d'un quart des importations de pétrole. Le groupe public russe Rosatom construit la première centrale nucléaire de Turquie sur la côte méditerranéenne. Rosatom devrait construire une deuxième centrale nucléaire sur la mer Noire.
Les touristes russes représentent la deuxième plus grande population de vacanciers en Turquie après les Allemands. En 2021, 70% des importations de céréales turques provenaient de Russie.
C'est surtout cela qui a poussé Erdogan à jouer les médiateurs en juillet dans les efforts pour obtenir des exportations de céréales ukrainiennes, car cela a en même temps permis de lever les restrictions à l'exportation de céréales russes.
Il est peu probable qu'Erdogan parvienne à négocier un cessez-le-feu en Ukraine. Mais il est tout de même le dernier chef d'Etat et de gouvernement occidental que l'on croit capable d'exercer une certaine influence sur Poutine. C'est la raison pour laquelle les partenaires de l'OTAN font jusqu'à présent abstraction de ses extravagances.
Avec sa politique schizophrène, Erdogan met la patience de ses alliés à rude épreuve. Dans le conflit ukrainien, il se présente comme un pacificateur. Mais en même temps, il accable son voisin et partenaire de l'OTAN, la Grèce, de menaces de guerre non dissimulées.
Il demande à la Russie de «rendre la Crimée et les autres territoires occupés de l'est de l'Ukraine à leurs propriétaires légitimes». Mais quelle crédibilité cela peut-il avoir dans la bouche d'un chef d'Etat dont le pays occupe militairement Chypre et une grande partie du nord de la Syrie?
Même si la politique d'Erdogan semble à première vue contradictoire, elle a un fondement. Le chef d'Etat turc tente de sauver son pouvoir. Pour la première fois depuis son entrée en fonction il y a 20 ans, il doit craindre de perdre le pouvoir lors des élections législatives et présidentielles prévues en juin prochain.
S'il applique les sanctions occidentales à l'encontre de la Russie, l'économie turque, très affaiblie, risque de s'effondrer. En brandissant le sabre en Méditerranée, Erdogan veut détourner l'attention de la crise économique. Les observateurs politiques n'excluent pas une future confrontation militaire avec la Grèce.
(bzbasel.ch)