Le jour se lève, les premiers avions roulent sur le tarmac. Andreas Lubitz, 27 ans, copilote chez Germanwings, franchit les portes de l’aéroport. Son apparence ne trahit rien. Ni les insomnies, ni les angoisses.
Sur le vol retour, les passagers embarquent. Des Allemands en vacances, des Espagnols en déplacement, deux chanteuses d’opéra, seize lycéens et leurs deux professeures. Ils rentrent d’un échange scolaire. Ils ont 15, 16, 17 ans. La vie devant eux. En théorie.
L’appareil, un Airbus A320, est stationné à la porte B32. Le commandant de bord, Patrick Sondenheimer, 34 ans, a plus de 6000 heures de vol. Il est père de famille, expérimenté. Andreas Lubitz, lui, totalise 630 heures. La routine. Et le ciel est dégagé.
Le 9525 quitte le sol espagnol. Il s’élève vers son altitude de croisière, environ 38 000 pieds. Rien à signaler. Le vol suit sa trajectoire vers Düsseldorf. A cet instant, c’est un vol comme des milliers d’autres.
Patrick Sondenheimer doit aller aux toilettes. Une absence de quelques minutes, tout au plus, pour le commandant de bord. Il se lève, jette un œil à son collègue, le copilote Andreas Lubitz. Rien d’anormal. Il referme la porte derrière lui. Il ne le sait pas encore, mais il ne retournera jamais dans ce cockpit.
Derrière la porte blindée, Andreas Lubitz est désormais seul aux commandes. Il active le verrouillage manuel. Plus personne ne peut entrer. Il sait parfaitement ce qu’il fait.
Depuis le centre de contrôle d’Aix-en-Provence, les opérateurs voient l’avion perdre lentement de l’altitude. Rien d’alarmant, au début. Une descente contrôlée, fluide. Mais personne ne l’a ordonnée, personne ne l’a demandée. Pas d’appel radio. Pas d’explication.
Il frappe à la porte. Pas de réponse. Il tambourine, utilise l’interphone. Rien. A l’intérieur, Lubitz est muet. Il a enclenché la descente automatique, réduit les gaz. Chaque minute, l’avion perd 1000 pieds. Le commandant crie. Il hurle à travers la porte. Lubitz ne répond pas.
Silence. Encore.
Toujours rien. Les contrôleurs s’interrogent. L’avion descend, mais personne ne communique.
Dans la cabine, les passagers ne comprennent pas encore. Pas de turbulence. Pas d’annonce. Mais les visages se tendent. Quelque chose cloche. Certains pianotent sur leur téléphone. D’autres regardent l’écran de suivi de vol. La descente est lente, mais continue. Anormale. Un silence pesant s’installe. Pas de voix rassurante de l’équipage dans les hauts-parleurs. Pas d’explication.
Il prend un pied de biche, ou une hache. On l’entend sur les enregistrements. Il frappe. Il cogne. Il supplie. Lubitz, de l’autre côté, reste imperturbable. Il respire calmement. La boîte noire enregistrera ce souffle régulier jusqu’à la fin, contrastant avec les coups frappés par le commandant.
On entend des cris, des supplications. Certains prient, d’autres appellent leurs proches. Les téléphones sont allumés. Personne ne sait quoi dire. Il reste huit minutes.
Il évite les sommets. Pas par compassion. Par méthode. Il veut aller jusqu’au bout. La montagne approche, il le sait. Il a étudié les cartes. Le secteur est désert, montagneux, inaccessible. Il a tout prévu.
Le contrôle aérien comprend que quelque chose d’anormal et de grave est en train de se produire. Des avions sont envoyés à sa rencontre. Trop loin. Trop tard. Il est seul. Seul avec 149 personnes et une détermination glaciale.
Il vole à 700 km/h. Droit vers la roche. L’écho radar vacille. Il reste quelques secondes.
Le 9525 disparaît des écrans. L’impact est brutal. Aucun survivant. L’avion est pulvérisé sur une paroi à 1500 mètres d’altitude, dans la vallée de la Blanche, près de Prads-Haute-Bléone. Les débris sont éparpillés comme une pluie métallique.
Il faudra des jours pour récupérer les corps. Des semaines pour comprendre. Des mois pour admettre. Le choc est immense, partout en Europe. A Haltern am See, les seize adolescents ne rentreront jamais. A Barcelone, des familles attendent en vain. A Düsseldorf, les rideaux se baissent. Le deuil est partagé entre l’Allemagne et l’Espagne, avec la France, impuissante, au milieu, théâtre de l'horreur.
Lubitz avait été déclaré inapte au vol par plusieurs médecins. Et pourtant…
En 2009, il interrompt sa formation chez Lufthansa pour cause de burn-out. Il la reprend en 2013, avec une mention d’inaptitude «temporaire». Entre novembre 2014 et mars 2015, il consulte pas moins de 41 fois. Dans son appartement, on retrouve des boîtes de médicaments, des certificats médicaux déchirés, et des recherches Google sur les moyens de se suicider en avion. Il voulait «marquer les esprits», selon les carnets retrouvés. Il l’a fait. Au prix de 149 innocents.
Dès le crash, les familles des victimes réclament des comptes. Pourquoi et comment Andreas Lubitz a-t-il pu prendre les commandes? Pourquoi n’y avait-il aucun système pour l’arrêter?
En 2016, un rapport du Bureau d’Enquêtes et d’Analyses souligne l’absence de communication entre les médecins et la compagnie aérienne, en raison du secret médical. Certaines familles intentent des actions contre Lufthansa. D’autres se battent pour que des règles changent, sur le suivi psychologique des pilotes notamment.
Aujourd’hui, 10 ans après ce 24 mars 2015, de nombreuses familles n’ont toujours pas de réponse. Pour elles, le temps s’est figé au moment où l’avion a commencé sa descente, lente, inexorable. Elles vivent avec l’image d’un cockpit verrouillé, d’un homme calme et de 149 vies qui implorent.
Parmi les 144 passagers, les profils sont multiples, mais quelques histoires ont marqué profondément les mémoires:
A la mémoire des victimes, des plaques commémoratives ont été posées. Une stèle, sur la montagne, fait face à la paroi qui porte encore les stigmates du crash.
Chaque 24 mars, des proches, des officiels et des anonymes viennent s’y recueillir. Le silence y est presque surnaturel. Tout comme le drame qui s'y est produit.