Le jabuticaba, un fruit emblématique du Brésil ressemblant au raisin noir, pour guérir de la «mauvaise humeur»? C'est l'ironique suggestion faite par Lula à Donald Trump, en pleine guerre commerciale lancée par les Etats-Unis. «Je vais t'apporter des jabuticabas, Trump», dit le président brésilien de gauche, cueillant ces fruits dans une vidéo partagée ce week-end sur les réseaux sociaux par la première dame, Rosangela da Silva, dite «Janja».
«Celui qui mange des jabuticabas (...) n'a pas besoin de bataille douanière, il a besoin de beaucoup d'union et de relation diplomatique», professe Luiz Inacio Lula da Silva, tout sourire et en jogging. D'interviews en discours, Lula, 79 ans, s'est démultiplié ces derniers jours pour répliquer au président américain. Dénonçant une «ingérence», il défend la «souveraineté» de son pays et brandit l'arme de la «réciprocité».
🇧🇷🇺🇸 | Lula le ofreció a Trump una exótica fruta brasileña para que "calme" su furia arancelaria, en tono irónico. #Brasilpic.twitter.com/HmgFURGdwu
— Revista PODER (@RevistaPODERcol) July 14, 2025
Donald Trump a créé un choc en menaçant la semaine dernière d'appliquer au Brésil à compter du 1er août 50% de droits de douane supplémentaires. Motif: une supposée «chasse aux sorcières» contre son allié, l'ex-président brésilien d'extrême droite Jair Bolsonaro (2019-2022), jugé pour tentative de coup d'Etat.
Face aux menaces planant sur la première économie d'Amérique latine, le gouvernement Lula a joué la carte de l'union, illustrée par une campagne promptement lancée sur les plateformes numériques et proclamant: «Brésil s'écrit avec le S de souveraineté» – et non le Z du nom anglais «Brazil».
Dans le même temps, il s'est rapproché des branches qui pourraient souffrir le plus des surtaxes américaines, l'industrie et le puissant agro-négoce, deux secteurs traditionnellement proches du camp Bolsonaro.
«Trump a fait un joli cadeau à Lula», estime l'analyste politique André Cesar. L'effet immédiat est d'inviter «les Brésiliens à se ranger derrière le drapeau», dit-il. Cela apparaît, au moins à court terme, comme un coup de pouce inespéré pour le président de gauche. Lui qui a déjà dit sa volonté d'être candidat à l'élection présidentielle d'octobre 2026 a encaissé ces derniers mois mauvaise nouvelle sur mauvaise nouvelle.
Un sondage publié avant le bras de fer avec Washington montrait qu'une majorité de Brésiliens désapprouvait l'action de son équipe, plombée par une inflation persistante (5,35% en juin) et un scandale à la Sécurité sociale. Le Parlement à majorité conservatrice lui avait aussi infligé une cuisante défaite en enterrant un projet de taxation des transactions financières.
La droite et l'extrême droite, qui ces dernières années avaient réussi à capter les symboles nationaux, drapeau et maillot de l'équipe nationale de foot, se retrouvent soudain sur la défensive. Et goûtent à un fruit plus amer que le jabuticaba: celui de la division.
La menace de droits de douane massifs a en effet pris tout le monde de court. Tout le monde, sauf peut-être Eduardo Bolsonaro. Ce député, fils de l'ex-président, exerce depuis plusieurs mois un inlassable lobbying auprès de la mouvance trumpiste au profit de son père. Il a revendiqué sans ambages un «succès» de «l'intense dialogue» qu'il entretient à Washington. «Merci, président Trump», a-t-il écrit sur le réseau social X.
Jair Bolsonaro, 70 ans, s'est montré plus mesuré, affirmant «ne pas se réjouir» de voir les acteurs économiques et le peuple «souffrir» des possibles effets des surtaxes douanières. Mais il en a rejeté toute la faute sur Lula. Pour lui, la «solution» passe par l'approbation au Parlement d'une large amnistie dont il espère, selon ses détracteurs, qu'elle lui permette d'annuler son inéligibilité qui court jusqu'en 2030.
De plus en plus cité comme possible champion des conservateurs en 2026, le puissant gouverneur de Sao Paulo, Tarcisio de Freitas, a incarné à lui tout seul les difficultés de son camp. Il a d'abord salué la décision de Donald Trump et accusé Lula. Puis rectifié le tir en appelant à «unir les efforts», tandis que les principales industries de la région la plus riche du pays, comme le secteur aéronautique, exprimaient leur inquiétude. Et s'est attiré les foudres d'Eduardo Bolsonaro pour ce ton conciliateur...
Pour Geraldo Monteiro, professeur de sciences politiques à l'université fédérale de Rio de Janeiro, les menaces américaines ont «eu l'effet d'isoler encore plus l'extrême droite» en créant une «coalition inattendue d'intérêts» entre gouvernement et milieux économiques. «Cela peut avoir changé» la donne pour le scrutin de l'an prochain, dit-il, même si le chemin reste encore long. (jzs/ats)