Pourquoi les experts se hâtent de compter les morts de la canicule
Une semaine après le pic de la vague de chaleur début juillet en Europe, des scientifiques ont estimé que 2300 personnes avaient péri à cause d'elle dans une douzaine de villes, avec l'objectif assumé d'éveiller les consciences à la dangerosité immédiate du changement climatique.
Ce chiffre était censé «attirer l'attention» et lancer un avertissement dans l'espoir d'éviter d'autres décès inutiles, explique Friederike Otto, l'une des scientifiques ayant mené cette étude.
Il n'est pas inédit que des scientifiques établissent un lien entre l'excès de décès liés à la chaleur et le changement climatique, mais c'est la première fois qu'ils le font aussi rapidement.
Sauver des vies
La chaleur peut faire des dizaines de milliers de victimes pendant les étés européens, mais il faut généralement des mois, voire des années, pour évaluer le bilan de ce «tueur silencieux».
Pourquoi une telle volonté d’accélérer la communication? Friederike Otto, climatologue à l'Imperial College de Londres, souligne:
Même si ces estimations précoces de la mortalité ne doivent pas être interprétées comme des statistiques officielles, «du point de vue de la santé publique, les avantages de fournir des preuves en temps opportun l'emportent», ajoute Raquel Nunes, de l'université de Warwick. Cette experte en réchauffement climatique et santé, qui n'a pas participé à l'étude, explique:
Une «grave» différence
La science dite de l'attribution climatique est capable de chiffrer à quel point le réchauffement rend certaines vagues de chaleur plus intenses ou fréquentes. Mais pour Friederike Otto, pionnière de la discipline, le public a tendance à ne pas voir de différence majeure entre 30°C et 27°C. Et de déclarer:
Les scientifiques de l'Imperial College London et de la London School of Hygiene & Tropical Medicine ont donc modifié leur approche pour mettre en avant la létalité, et pas seulement l'intensité, de la canicule ayant frappé du 23 juin au 2 juillet.
En se fondant sur les données historiques de météorologie et de surmortalité, ils ont estimé que le changement climatique avait rendu cette vague de chaleur de 1 à 4°C plus chaude dans 12 villes dont Londres, Paris et Athènes, selon les lieux, et que 2300 personnes avaient probablement péri.
Mais pour la première fois, ils ont aussi estimé que 65% de ces décès, soit environ 1500 personnes, n'auraient pas eu lieu dans un monde sans réchauffement climatique. «C'est un message beaucoup plus fort», estime Friederike Otto.
Une menace sous-estimée
Cette étude n'était qu'un aperçu de la vague de chaleur plus large qui a frappé l'Europe occidentale pendant le mois de juin, le plus chaud jamais enregistré. Les températures ont atteint jusqu'à 46°C en Espagne et au Portugal. Le bilan réel est probablement beaucoup plus lourd, estiment les auteurs.
Deux semaines après leur étude, Santé Publique France a rapporté que 480 décès de plus que la normale avaient été constatés en France pendant la canicule, surtout des personnes de plus de 75 ans.
L'étude rapide des climatologues n'a pas fait l'objet d'une évaluation par les pairs, un processus rigoureux qui peut prendre plus d'un an. Mais bien qu'elle présente certaines limites, elle s'appuie sur une méthodologie scientifique solide et bien établie, ont toutefois déclaré plusieurs experts indépendants.
Pour Friederike Otto, attendre la fin de l'été pour publier ces résultats, «quand plus personne ne parle des vagues de chaleur et que personne ne pense à la sécurité des populations», irait à l'encontre de l'objectif recherché. Elle juge: