Si j’étais algérien, je serais fier de Boualem Sansal
Boualem Sansal est bien un Algérien. Certes, il est Français aussi depuis un peu plus d’un an, naturalisé par Emmanuel Macron en personne. Mais cette ironie grave, cet esprit bravache, ce nif, cet orgueil de bon aloi dont il a témoigné ce lundi matin au micro de France Inter, sont bien la marque d’un Algérien. Les «vrais», même ceux qui ne l’aiment pas ou disent ne pas l’aimer, ce qui n’est pas pareil, le reconnaîtront. Il est l’un des leurs.
Ses mots situent la personne: «La prison, on s’y habitue, on a sa petite routine», «on s’amuse comme des gamins, on fait du sport».
Si l’on avait commencé la semaine dans la grisaille, Boualem Sansal l’a chassée d’un coup.
«Le Sahara occidental et la Palestine»
Libéré le 12 novembre après douze mois de détention en Algérie, l’écrivain de 80 ans rattrape son temps de parole. Exfiltré vers l’Allemagne après une grâce présidentielle, il était dimanche soir au JT de France 2 comme dans les colonnes du Figaro. Et aujourd’hui à la radio.
Boualem Sansal l’a rappelé dans son interview à France Inter:
En se rendant en Israël en 2012, Boualem Sansal avait brisé un tabou. Mais, il en est certain, c’est la reconnaissance fin juillet par Emmanuel Macron de la marocanité du Sahara occidental, le Maroc avec qui l’Algérie est en froid précisément sur ce dossier, qui a précipité son arrestation à sa descente d’avion le 16 novembre 2024 à l’aéroport d’Alger. Il était devenu «le représentant de la France» aux yeux du gouvernement algérien. Ce d'autant plus qu’il avait entre-temps remis en cause le tracé de la frontière algéro-marocaine. D’où l’accusation grandiloquente d’atteinte à la sûreté de l’Etat et sa condamnation à cinq ans ferme.
C’est un homme âgé qui s'était vu finir sa vie en prison qui courait ce lundi après le temps perdu au micro d’une radio libre. Les fact-checkers – une activité essentielle, malheureusement un peu trop souvent au service du relativisme – vérifieront peut-être si toutes les affirmations de Boualem Sansal recrachées comme autant de petits mots avalés durant un an, sont l’exacte vérité ou déjà du vécu romancé.
Quelle ironie féroce, là encore, que d'avoir été placé dans un quartier de «très haute sécurité» avec des «terroristes», dont l’un, incarcéré dans une cellule proche de la sienne, a-t-il dit, avait tué «une centaine de journalistes et écrivains» durant la guerre civile algérienne des années 1990, la terrible «décennie noire» au coeur du dernier roman de Kamel Daoud, Houris, prix Goncourt 2024, lui aussi dans les mauvais papiers du président Tebboune.
Une «légende» en taule
Dans sa saudade algérienne, celle qui vous met la larme à l’œil tout en vous donnant un coup de pied aux fesses, Boualem Sansal était, si l’on a bien compris, une sorte de vedette en taule, à la fois protégé et humilié par les gardiens, plaisantant avec eux, obtenant de pouvoir prendre une douche par jour. Au final, «bien traité». Son cancer? Il en serait guéri. Son envie: retourner dès que possible en Algérie. Il serait bien accueilli, veut-il croire, «avec la presse à l’aéroport».
Cette confidence encore: dans sa prison, on l’appelait la «légende». Ce pourrait être le titre de son prochain roman, a-t-il confié. Lui qui n’a jamais tiré la couverture à soi dans ses écrits, ne le ferait pas davantage cette fois-ci – on s’est évidemment amusé à l'antenne de ce que Nicolas Sarkozy entendait rédiger son «journal d’un prisonnier» pour ses vingt jours passés en détention.
Sans surprise, Boualem Sansal, universaliste, laïque et démocrate, a dit que le plus grand danger pour les sociétés occidentales comme ailleurs était l’idéologie islamiste. Certains lui reprocheront de ne pas avoir ajouté l’extrême droite, mais l’islamisme en fait partie.
On a eu une pensée pour la Genève internationale...
A la fin de l’interview, on a eu une pensée pour la Genève internationale. Qui aura gardé un bien pesant silence sur la détention de cet homme libre.
Il reste un Français incarcéré en Algérie, le journaliste pigiste Christophe Gleizes, un «otage d’Etat» condamné à sept ans de prison. Et puis des dizaines d’opposants politiques algériens. Leur libération ne nuirait pas à l’Algérie qu’on aime.
