«C’est extrêmement choquant.» La présidente de la Commission fédérale contre le racisme, Martine Brunschwig Graf, réagit en ces termes à la propagande électorale diffusée par l’UDC sur les réseaux sociaux, à l’approche du scrutin national du 22 octobre.
Des suites qui pourraient prendre la forme d’un dépôt de plainte pour violation de la norme pénale antiraciste.
En cause, ici, une série d’images chocs se rapportant à des agressions commises par des étrangers principalement originaires du Maghreb. Si les images sont fictives, les faits qu’elles illustrent sont réels et récents, tous situés en Suisse alémanique. L'UDC entend par là faire un lien entre «délinquance et immigration non contrôlée». Cette communication politique n’existe pour l’heure qu’en allemand. «Elle sera bientôt disponible en français», annonce Kevin Grangier, président de l’UDC Vaud et membre du comité directeur de l’UDC Suisse, joint par watson.
Conçues en format tabloïd, ces images font penser à des affiches de films d’horreur, certainement l’un des buts recherchés par une UDC familière des contenus trashs et provocs. «Un Tunisien viole une femme»; «Un étranger abuse sexuellement d’une jeune femme de 18 ans» (un Haïtien de 40 ans, est-il précisé); «Un Syrien menace une femme dans un bois»; «Un requérant d’asile viole une femme» (un ressortissant d’Afrique de l’Est, est-il dit); «Menaçant sa victime avec une arme blanche, un Algérien lui vole son téléphone portable»; «Des Nord-Africains dévalisent des commerces» (deux Marocains, lit-on)…
Joint par watson, Peter Keller, le secrétaire général de l’UDC, affirme:
«Pour beaucoup, reprend le secrétaire général de l'UDC, il s’agit de faits commis par des requérants d’asile, notamment des Maghrébins. Ces agressions ciblent souvent des femmes.» Visuellement d’une grande noirceur, réalisée par des «professionnels», précise Peter Keller, cette campagne semble s’adresser à un électorat féminin. Des femmes que le parti de la droite identitaire, contrairement aux autres, saurait protéger en refusant de voir s’installer ce qu’il désigne sous l’expression de «nouvelle normalité».
Un argument repris par le candidat de l'UDC genevoise au Conseil national, l'avocat Charles Poncet. «C'est un vieux libéral qui vous le dit: on ne peut que constater le lien de cause à effet entre une immigration clandestine de jeunes hommes dont certains sont frustrés sexuellement et des agressions contre des femmes. Je ne nie pas qu'ils sont malheureux, mais nous ne pouvons pas fermer les yeux sur les conséquences de cette pression migratoire hors de contrôle. La place de ces agresseurs est en taule.»
Le président de la section vaudoise, Kevin Grangier, anticipe ce qui, selon lui, relève du procédé de «l'inversion accusatoire»:
Sans doute l’UDC pense-t-elle avoir évité l’écueil de l’essentialisation. Sur ses affiches numériques, elle emploie des articles indéfinis – «un» ou «des» – pour désigner les auteurs d’agressions et leur nationalité. Pas de «les», ce qui signifierait que tous les ressortissants des pays cités sont potentiellement des délinquants ou des criminels.
Ni Peter Keller, ni Kevin Grangier, ni Charles Poncet ne semblent redouter des poursuites pénales pour incitation à la haine en raison de l’origine. «Notre campagne n’a fait l’objet d’aucune plainte», rapporte le secrétaire général de l’UDC Suisse. La Commission fédérale contre le racisme en déposera peut-être une.
La formation de Marco Chiesa n’aura pas voulu répéter l’«erreur» de 2011, qui était aussi une année électorale et celle choisie par l'UDC pour lancer son l’initiative contre l’immigration de masse. Le parti, alors présidé par Toni Brunner, avait publié dans la presse un encart publicitaire en allemand, que l’on pouvait traduire par «Des Kosovars poignardent des Suisses» ou «Les Kosovars poignardent les Suisses».
«Deux Kosovars avaient déposé plainte. En 2017, en toute dernière instance, le tribunal fédéral avait confirmé la condamnation de Martin Baltisser, ancien secrétaire général de l’UDC, et de sa suppléante, Silvia Bär, pour violation de la norme pénale antiraciste», rappelle à watson Nenad Stojanovic, politologue à l’Université de Genève. Aujourd'hui, il s'agit de déterminer s'il y a à nouveau une généralisation de faite par l'UDC. Celle-ci jure que non.
Nenad Stojanovic affirme l'inverse:
Les campagnes électorales de l’UDC font rarement l’unanimité à l’intérieur du parti. Lors des élections fédérales de 2019, l'ancien président de l'UDC schaffhousoise Pentti Aellig s’était désolidarisé d’une affiche sur laquelle une pomme était attaquée par des vers. Le dessin suggestif était accompagné de ces mots: «Doit-on accepter que la gauche et les gentils détruisent la Suisse?»
Entendra-t-on cette fois-ci encore quelques voix discordantes? En Suisse romande, ce membre de l’UDC préférant garder l’anonymat réprouve l’actuelle campagne en ligne de son parti:
Actuellement visibles sur les seuls réseaux sociaux alémaniques de l'UDC, les images renvoyant à des faits de délinquance perpétrés par des étrangers pourraient être déclinées en publicités dans la presse papier. Le secrétaire général Peter Keller ne l’exclut pas. De son côté, le président de l’UDC Vaud, Kevin Grangier, regrette qu’en Suisse romande, les pouvoirs publics rechignent à fournir des informations sur l’origine des délinquants. L’UDC ne semble pas vouloir se laisser intimider par des menaces de plainte.