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Apple a voulu tromper l'UE et agace tout le monde

Timothy Cook, chief executive officer of Apple Inc., arrives at the Vanity Fair Oscar Party on Sunday, March 10, 2024, at the Wallis Annenberg Center for the Performing Arts in Beverly Hills, Calif. ( ...
Tim Cook, CEO d'Apple, à la soirée des Oscars.Image: keystone
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Apple a voulu tromper l'UE et agace tout le monde

Apple doit rendre l'iPhone compatible avec les autres systèmes en Europe. Si le géant de la technologie tente par tous les moyens de contourner les nouvelles règles du jeu de l'Union Européenne, cette stratégie pourrait se retourner contre lui.
15.03.2024, 20:4515.03.2024, 20:45
Oliver Wietlisbach
Oliver Wietlisbach
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La nouvelle loi numérique de l'Union Européenne (UE) fait transpirer même les patrons de la tech les plus endurcis. Le Digital Markets Act (DMA), en tant que droit de la concurrence proactif, vise à empêcher qu'une poignée de géants de la tech particulièrement puissants puissent agir à leur guise en Europe et étouffer toute concurrence émergente dans l'oeuf. Des amendes pouvant atteindre jusqu'à 20% du chiffre d'affaires annuel mondial de l'entreprise peuvent être infligées en cas de violation répétée de la législation antitrust numérique.

Microsoft, Google et le groupe Facebook, désormais nommé Meta, ont accepté à contrecœur les nouvelles règles de l'UE. Toutefois, une entreprise fait de la résistance: Apple. Dès le départ, le fabricant d'iPhone n'a pas caché son manque d'enthousiasme à l'idée de mettre en œuvre les directives du DMA. L'UE vise notamment à mettre fin au monopole lucratif d'Apple sur l'App Store et les services de paiement sur les iPhones.

Le Digital Markets Act en bref
Le Digital Markets Act (DMA) a pris effet le 7 mars 2024 dans l'Espace économique européen (EEE). Il vise à limiter le pouvoir d'Alphabet (Google), Amazon, Apple, ByteDance (TikTok), Meta (Facebook) et Microsoft. Les services numériques qui dominent la concurrence dans un segment de marché sont désormais appelés «gatekeeper», soit «portiers» en anglais, car ils peuvent décider d'entraver ou éliminer la concurrence. Les entreprises ont dû adapter leurs produits en conséquence. L'UE espère ainsi accroître la concurrence et le choix des consommateurs.

Pour le commerce en ligne, les App Stores pour iOS, Android ainsi que le Marketplace d'Amazon ont par exemple été évalués comme «portiers». Pour les réseaux sociaux, TikTok, Facebook, Instagram et LinkedIn ont été jugés dominants, pour les messageries c'est le cas de WhatsApp et Facebook Messenger. Android, iOS et Windows jouent ce rôle pour les systèmes d'exploitation alors que Chrome et Safari le font pour les navigateurs. Les géants de la tech sont également soumis à de nouvelles restrictions dans les domaines de la publicité et de la collecte de données.

Chez les six Gafa, l'UE a pointé du doigt 22 types de services, d'autres pourront suivre. Le DMA n'est pas valable en Suisse. La Confédération part du principe que les entreprises appliqueront également les nouvelles règles dans notre pays – ce qui n'est pas le cas, du moins pour Apple.(oli)

L'intimidation comme arme

La demande de l'UE d'ouvrir le système d'exploitation comporte, outre des opportunités, naturellement aussi des risques. Apple a astucieusement fait savoir qu'il s'agissait de protéger les utilisateurs d'iPhone contre les impacts du Digital Markets Act sur leur sécurité et leur vie privée. Le chef du logiciel chez Apple a même qualifié l'installation d'applications en dehors de l'App Store d'Apple de «meilleur ami des cybercriminels». L'objectif? Déstabiliser les utilisateurs d'iPhone et à les dissuader de migrer vers des magasins d'applications potentiellement moins chers.

La stratégie d'intimidation d'Apple est un moyen de relations publiques courant utilisé par les entreprises qui sont sous les feux de la rampe: inciter les consommateurs à se dresser contre le régulateur supposément malveillant. Adressez vos plaintes à l'UE, qui prétend rendre votre iPhone moins sûr, chères utilisatrices et chers utilisateurs. Mais de plus en plus de personnes ne sont pas dupes. Car on peut être victime d'applications frauduleuses même dans l'App Store d'Apple.

Des arguments à vérifier

Les lobbyistes d'Apple à Bruxelles ont martelé pendant des années aux politiciens de l'UE un message hautement douteux selon lequel les produits cloisonnés étaient plus sûrs que les produits ouverts. Une argumentation à laquelle les experts indépendants en sécurité informatique ont opposé leur désaccord depuis tout aussi longtemps. Ni les nouveaux magasins d'applications, ni les applications de paiement alternatives, ni le libre choix du navigateur ne rendent l'iPhone moins sûr.

Ce sont toutes des demandes légitimes des développeurs de logiciels et des organisations de protection des consommateurs qui sont depuis longtemps considérées comme allant de soi pour d'autres systèmes d'exploitation et qui favorisent la concurrence – sans compromettre la sécurité des utilisateurs.

Face à toutes les exigences de l'UE, Apple a avancé des préoccupations en matière de sécurité qui, prétendument, empêcheraient leur mise en œuvre. Toutes ces préoccupations disparaissent en fumée lorsqu'on les examine de près. La stratégie utilisée depuis de nombreuses années ne visait pas à protéger les consommateurs, mais plutôt à préserver les profits florissants d'Apple.

Tim Cook persönlich versuchte EU-Kommissar Thierry Breton im letzten Moment noch von strengeren Gesetzen abzuhalten.
Tim Cook en personne a tenté jusqu'au au dernier moment de dissuader le commissaire européen Thierry Breton d'imposer des lois plus strictes.
Image: EPA/EPA

Un cas particulier

Au lieu de faire face à la concurrence, Apple investit des sommes colossales dans le lobbying afin de se soustraire aux règles de l'UE. Les gardiens du cartel de l'UE ont perdu patience. Certaines réglementations de l'UE semblent avoir été rédigées spécifiquement pour Apple. En réponse, Apple a imposé une série de nouvelles conditions et de frais aux développeurs de logiciels et aux fournisseurs concurrents de magasins d'applications, visant à empêcher quiconque d'exploiter les nouvelles libertés accordées.

En témoigne la plus grande ouverture de l'iPhone en Europe à partir de l'iOS 17.4. Une ouverture qui reste néanmoins hautement sécurisée et très contrôlée.

Il n'est pas étonnant que ce soit Apple qui contourne la nouvelle réglementation de l'UE avec toutes sortes de subterfuges et de ruses. Aucune autre entreprise ne cloisonne ses produits aussi fermement contre la concurrence, aucun autre «gardien» n'a dû apporter des ajustements aussi importants, et aucune autre entreprise n'a autant à perdre.

Des menaces claires de l'UE

Apple a toutefois dépassé les bornes lorsqu'il a tenté, sous les yeux de l'UE, de réprimer le développeur de jeux Epic Games, qui protestait contre les frais exorbitants de l'App Store. Après un avertissement sévère de l'UE, Apple a fait marche arrière, permettant à Epic de développer sa propre boutique d'applications pour les jeux mobiles tels que Fortnite sur iOS. Le commissaire européen Thierry Breton a souligné qu'il n'y avait pas de place dans l'UE pour les menaces des puissants opérateurs de plateformes envers les développeurs d'applications.

Désormais, l'UE examinera de plus près si et comment Apple respecte les directives du DMA. Breton avait déjà lancé un avertissement public à Apple par le passé. S'il s'avère que le fabricant d'iPhone ne respecte pas le DMA, comme le déplorent des entreprises telles que Mozilla, Spotify ou Threema, des «mesures sévères» seront prises. L'UE peut renforcer le DMA à tout moment.

Apple s'acharne

La menace a fait son effet. Mardi, Apple a annoncé que certaines grandes sociétés de logiciels pourront à l'avenir distribuer leurs applications via leur propre site web. Cependant, Apple ne serait pas Apple s'il n'imposait pas déjà des obstacles élevés, comme cela a été le cas pour les magasins d'applications alternatifs, de sorte que les critiques ne devraient guère s'atténuer. Pour vendre une application via son site web, il faudra par exemple avoir publié une application iOS qui a eu plus d'un million d'installations initiales dans l'UE et en plus, verser de nouveaux frais à Apple.

Une fois de plus, Apple tente d'écrire ses propres règles et de mettre en œuvre les directives de l'UE de manière à ce qu'elles aient le moins d'impact possible dans la pratique. Parallèlement, l'entreprise met une fois de plus en garde les utilisateurs contre les risques du Web ouvert.

La sécurité de l'installation des applications via le Web est bien démontrée par le système d'exploitation macOS d'Apple. Même lors de l'installation d'applications depuis le Web, Apple peut révoquer à tout moment le certificat du développeur correspondant si une application se révèle malveillante. Par la suite, l'application en question ne peut plus être ouverte ni installée.

Ainsi, iOS est plus ouvert que jamais, tout en conservant les fonctionnalités de sécurité du système d'exploitation - et Apple conserve un contrôle étendu.

Au risque de ruiner sa réputation

Avec sa politique d'obstruction, Apple se met à dos les défenseurs des consommateurs, les développeurs de logiciels et les régulateurs de la concurrence de l'UE. L'entreprise prend le risque d'abimer son image. Mais les clients ne partiront sans doute pas pour autant. Ceux qui n'avaient jusqu'à présent aucun problème avec la «cage dorée» d'Apple ne devraient pas en avoir non plus maintenant.

Cependant, les régulateurs de la concurrence aux États-Unis et en Asie surveillent de près le comportement d'Apple dans l'UE et en tireront des leçons s'ils resserrent également la vis réglementaire. Pendant ce temps, Apple se comporte comme si le vent politique contre les géants de la technologie n'avait pas déjà tourné.

Au lieu d'accepter la nouvelle réalité, Apple agit comme un enfant têtu qui n'a pas appris qu'il existe des règles du jeu qui s'appliquent à tous, même au puissant groupe à la pomme. L'entreprise s'est convaincue qu'il serait intelligent de contourner les règles de l'UE en utilisant toutes sortes de subterfuges.

Voici un dernier épisode de ce différend avec l'UE: Apple a discrètement désactivé les «Progressive Web Apps» sur l'écran d'accueil peu de temps avant l'ouverture forcée de l'iPhone.

Ces applications web, qui fonctionnent indépendamment de l'App Store, sont depuis des années une épine dans le pied d'Apple. Encore une fois, des arguments de sécurité ont été avancés. La marque prétendait ne plus pouvoir prendre en charge les applications web, car l'adoption d'autres moteurs de navigation - une autre exigence de l'UE - créerait de nouveaux risques de sécurité. Suite à une vive menace de l'UE, Apple a fait marche arrière. Cependant, les applications web continuent de fonctionner uniquement dans le moteur de navigation d'Apple. Il est douteux que celui-ci soit plus sûr que la technologie de navigation de Google ou de Mozilla.

Les Progressive Web Apps sont des sites web qui se présentent sur l'iPhone comme une application native. Apple a utilisé les applications web pendant des années comme un paravent pour son argumentation selon laquelle les développeurs d'applications ne dépendent pas de l'App Store. Il n'y aurait pas de monopole de l'App Store sur iOS, et ceux qui le souhaitent peuvent proposer une Progressive Web App. Cependant, Apple sait parfaitement que très peu d'utilisateurs utilisent les applications web.

En bref, Apple perd beaucoup d'énergie à tenter de décrocher des succès à court terme. Et cela pourrait finir par se retourner contre elle.

(Adaptation française: Valentine Zenker)

Cette fusée japonaise a explosé peu après son décollage
Video: watson
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