Friedrich Merz tient avec la Défense un os qu’il ne semble pas près de vouloir lâcher. En déclarant, mardi au Bundestag, lors de son discours de politique générale, qu’il veut faire de la Bundeswehr l’armée conventionnelle la plus puissante d’Europe, le chancelier chrétien-démocrate se donne un emploi qu’aucun de ses prédécesseurs de l’Allemagne post-nazie n’avait songé à endosser jusqu’ici. A la tête d’une coalition CDU-SPD décrite comme bancale, oser afficher une telle ambition pour l’armée allemande est à la fois dans l’air du temps et iconoclaste.
Dans l’air du temps, mais aussi attendu. Que n’a-t-on pas reproché à l’Allemagne ses dépenses militaires riquiquis, sa propension à se réfugier dans les jupes de maman Washington, son «tout pour l’industrie» au détriment de l’outil de défense?
Voilà que cela change. On ne pourra pas dire qu’on est surpris: Friedrich Merz a fait campagne sur le redressement d’une armée allemande jugée fainéante par ses partenaires. Sans doute veut-il aussi marquer sa différence avec Angela Merkel et prendre ainsi sa revanche sur celle qui l’avait dominé au sein du parti et qui passe pour avoir été faible avec Vladimir Poutine.
Economiquement, on sait qu’il veut relancer un appareil industriel en petite forme en investissant dans l’armement. Mais c’est sur le plan politique et identitaire que sa déclaration pour une Allemagne militairement puissante va certainement résonner le plus, dans son pays comme à l'étranger.
Chez lui, le parti d’extrême droite AfD ne pourra pas lui reprocher d’afficher cette ambition. Par-dessus tout, les électeurs de l’AfD veulent rétablir la «grandeur de l’Allemagne», qui aurait décliné au contact des institutions européennes.
C’est là que Friedrich Merz est attendu au tournant par ses amis européens. Car il n’est tout simplement pas envisageable que l’Allemagne retombe dans ses travers nationalistes. Ce n’est donc qu’intégrée à l’Europe et solidaire d’un effort commun de défense, face à de mêmes adversaires, que la formulation choc du chancelier allemand peut s’entendre.
Du temps de la guerre froide, quand il y avait l’Allemagne de l’Ouest libérale et l’Allemagne de l’Est communiste, l’écrivain français François Mauriac, qui avait en mémoire l’Occupation, avait eu ce mot fameux:
Quant au président François Mitterrand, il avait posé comme condition à la réunification allemande ardemment voulue par son ami le chancelier Helmut Kohl, l’abandon du mark, possible arme monétaire d’une puissance allemande retrouvée, au profit de l’euro, synonyme d’une fusion de l’Allemagne dans l’ensemble européen.
La formule, peut-être un cri du cœur de Friedrich Merz, va faire beaucoup parler. S’il paraît normal que la première puissance économique européenne soit aussi celle qui dépense le plus pour sa Défense, devenant à terme leader dans ce domaine, cette évolution ne va pourtant pas de soi et pourrait provoquer des inquiétudes et crispations.