Des gueules fendues et des éclopés. Les genoux grincent, les cernes pendouillent. Et ces voix qui ronronnent comme des tracteurs bons pour la casse. Des citoyens épuisés, désabusés, étourdis par un quotidien qui écrase tout avenir. Sous les slogans tapageurs, les rires francs, la bonne humeur et les accoutrements bariolés se niche un électorat américain qui n'espère plus grand-chose, mais en est très fier.
Samedi, dans un bled paumé du Wisconsin, plusieurs milliers de proud mums, proud workers, proud veterans, proud patriots et quelques Proud Boys ont gratté leurs derniers dollars pour s’offrir une énième visière à l'effigie d'un clown charismatique venu les bénir. Vingt balles la paire de chaussettes étoilée, quinze de plus pour un t-shirt qui envoie Biden se faire foutre.
A votre bon cœur, les gueux, c'est pour sauver l'Amérique. Comme si Rael briguait sérieusement le siège de premier ministre chez nos voisins français.
Il faut le voir en vrai pour le comprendre. S’enfoncer dans le ventre du mouvement, débarrassés des écrans de télévision qui lissent tout, même le trumpisme. Loin de son bunker de Palm Beach, Donald Trump est très à l'aise lorsqu'il faut rallumer les espoirs d'une classe ouvrière qui attend la mort avec plus de sérénité que le chèque en fin de mois.
Il est même plutôt sexy le vieux bougre, planqué derrière son costume de milliardaire et ses vitres par balles, à faire mousser son auditoire qui a misé le peu qui lui reste sur le cheval populiste. Là, une insulte qui fait mouche, ici une blague bien brossée. Un mot d’ordre, surtout: «Drain the swamp!». Une expression très américaine qui promet de nettoyer le pays de sa corruption et de son immigration. Il connaît son texte par cœur et ça marche. La masse finit ses phrases et recommence à y croire. Des larmes coulent sur les joues.
Qu’importe que ce Dieu en cravate fasse mine de causer la même langue que les rednecks qui l’adulent, alors que son Boeing privé vient de le déposer au pied de foule, telle une rock star. Les paradoxes n’ont jamais effrayé l’Amérique.
Non, franchement, une fois immergé dans la fosse rouge vif de ce rallye de Mosinee, samedi, on s'est surpris à y croire aussi. L’avion, la musique, le décorum, la liesse, le dress code. Pas tant grâce à Donald Trump, mais à cause des fidèles. En se frottant à son électorat, on réalise très vite qu’il les a littéralement ensorcelés. Avec un talent indéniable et pour mieux les exploiter. En 2016, il était parvenu à leur redonner de la voix, en échange de millions de voix. Un deal malhonnête, mais efficace.
En 2024, cette working-class blanche, rurale, hétérosexuelle et peu diplômée, est indispensable à sa victoire le 5 novembre prochain. Raison pour laquelle il est venu s'y perdre quatre fois depuis le début de l'année. En sondant cette nuée de tristesses grimées à l'effigie de Trump, on réalise que Kamala Harris a du pain sur la planche pour lui reprendre de force cet Etat au nord de la «Rust Belt», qui était à l'époque très disputé et remporté par Obama en 2008.
On dit souvent que Donald Trump a réussi à créer un clan de toute pièce, en soudant quelques promesses intenables à une bonne couche de mensonges. C'est à moitié vrai. Sa famille, celle qui ne le reniera jamais, c'est en meeting, sur la route, sur scène, qu'il l'a fondée. En trouvant les mots justes, au bon moment. En dégainant le meilleur slogan politique de l'histoire récente.
Ce n'est pas de l'empathie, mais du marketing. Aujourd'hui, plus que jamais, «Make America Great Again» est la seule marque de fast-politique qu'une certaine classe ouvrière peut et veut encore se payer.