Face au mal établi, surexposé et plutôt binaire, on a parfois tendance à oublier que le reste du monde n’est pas qu’une cohorte de petites colombes inoffensives. Depuis l’élection de Donald Trump en novembre dernier, les moins extrémistes d’entre nous encaissent les coups, d’autres hurlent de colère ou d’angoisse, en sachant depuis longtemps que l’adversaire est imprévisible, impulsif, impérialiste, mégalomane, narcissique, buté, malhonnête, malveillant, multi-condamné [glissez ici les adjectifs qui pourraient manquer].
Certains iront jusqu’à décider que, tout ça, c’est «à cause des Américains». Comme si une population n’était finalement que le bête reflet d’une politique et qu’un groupe d’humains planqués derrière une frontière et un passeport méritaient d’être jugés d’un seul bloc.
De la même manière que l’écrivain David Foenkinos s’amuse souvent à prétendre, dans ses romans, que les Nathalie sont pingres ou que les Sylvains sont bordéliques, la tendance actuelle est de considérer que «les Américains sont cons».
Si la peur (et parfois l’inconnu) nous pousse à ranger les petites briques de la société dans des tiroirs soigneusement étiquetés et hermétiques – le bien et le mal pour faire court, notre planète est pourtant peuplée d’individus qui brouillent les pistes. Pour une bonne ou une mauvaise cause. Pour les autres ou au service de ses propres intérêts.
On l’a tous fait. Joe Biden, aussi.
Durant la longue et chaotique campagne présidentielle américaine, tout semblait se jouer entre le loup et l’agneau. D’un côté, un Donald Trump qui hurlait vouloir sauver l’Amérique des errances démocrates, de l’autre, un Joe Biden qui se targuait d’être le seul à pouvoir combattre l’ennemi de la société et de la démocratie. Or, il s’avère aujourd’hui que les Américains ont surtout dû se dépatouiller avec deux vieillards obsédés par leurs propres intérêts. Quitte à manigancer en secret.
Dans le livre explosif Original Sin, sorti mardi, ce que tout le monde savait ou soupçonnait se retrouve étayé par plus de 200 témoignages de démocrates. Joe Biden n’allait pas bien, lui et sa garde rapprochée se sont obstinés à maintenir le cap au détriment des électeurs et Kamala Harris a été catapultée sur le terrain à la dernière minute, sans réel plan de jeu ni le moindre échauffement. Une tactique politique sourde et déroulée dans l’ombre, participant à faire élire Donald Trump.
Face au mal établi, surexposé et plutôt binaire, les dirigeants de la campagne démocrate s’étaient contentés de se placer en sauveurs tout-puissants du monde libre, délimitant bruyamment le bien et le mal en pointant le diable du doigt. En pensant que tout cela suffirait à se maintenir au pouvoir et à protéger, du même coup, les affaires du clan Biden, bien emmerdé par les déboires judiciaires du fils Beau. De loin, comme de près, on a bien senti que les électeurs démocrates pataugeaient dans un malaise solide, mais indéfini, perturbé à l’idée de voter contre, sans vraiment savoir comment voter pour.
C’est peut-être injuste, mais à l’heure des assauts monolithiques d’une extrême droite ouvertement antidémocratique, en face, il existe désormais une certaine contrainte d’irréprochabilité. Pour que l’autre puisse être défini comme le mal absolu à combattre avec crédibilité, dans un monde où l’on se cherche une appartenance pour dézinguer le groupe d’en face, la franchise, l’honnêteté, l’éthique et une certaine transparence sont de mise.
Et c’est précisément le nouveau gros morceau que le parti démocrate américain va devoir attaquer avant 2028.