A la base, elle souhaitait seulement acheter quelques souvenirs. «Mais vous avez conquis mon cœur!» admet une visiteuse de l'Utah avec un sourire. Alors, au lieu de faire du shopping sur Broadway, elle s'est installée à une table au fond du magasin Fishs Eddy, s'est emparée d'un stylo et s'est mise au travail. Comme une dizaine d'autres personnes déjà penchées sur des piles de cartes postales.
L'ambiance est amicale, chips et biscuits sont distribués à foison pour reprendre des forces. Les messages, en anglais, sont assez similaires.
Laurie Marvald, l'organisatrice, appelle cette petite campagne électorale une «Postcard Party», une tradition de longue date aux Etats-Unis. Curieusement, uniquement chez les démocrates. Il est important pour elle de rassembler les gens et de créer une communauté, explique-t-elle. «Cette manifestation permet aux gens de se rencontrer et de faire en même temps quelque chose d'utile».
Laurie a commandé un total de 3500 cartes postales à deux organisations. Elles sont accompagnées d'instructions précises et d'autocollants sur lesquels se trouvent des adresses de démocrates qui n'ont pas voté lors de la dernière élection. Les timbres ne sont pas inclus. Laurie et quelques-unes de ses amies ont fait don de l'argent nécessaire. La «Postcard Party» de Laurie Marvald s'adresse exclusivement aux électeurs de Pennsylvanie, sans doute le swing state le plus important.
Maria Moral-Pena, une Allemande établie en Australie, a elle aussi rejoint l’évènement: «Je voulais aller dans un musée, mais il était fermé», explique la jeune femme, qui est passée par hasard devant le panneau devant le magasin. «Postcard Writing Event! Swing left!» L'idée l'a conquise.
Des centaines de milliers de bénévoles ont rédigé ces dernières semaines des millions de cartes postales de ce genre. «Postcards to Swingstates» en compte 40 millions sur son site Internet - et ce n'est qu'une organisation parmi d'autres. Les messages personnels écrits à la main pourraient avoir un certain impact, affirme l'organisation.
«En 2020, notre programme a rapporté des milliers de voix dans des Etats qui ont été décisifs pour la victoire du président Biden», ajoute l'organisation. Pour augmenter encore ses chances, Laurie Marvald fera même poster ses 3500 cartes en Pennsylvanie voisine. «Il paraît qu'un cachet postal de son propre Etat augmente les chances d'acceptation», justifie-t-elle.
La course risquant d'être serrée, les cartes postales auront d'autant plus de poids. «C'est le vote le plus important de ma vie», affirme la propriétaire du magasin, Julie Gaines, qui admet d'avoir «jamais été aussi inquiète». Elle met donc volontiers son magasin à disposition pour cette occasion. Fishs Eddy existe depuis 38 ans déjà; le magasin général, spécialisé dans la porcelaine, est devenu culte à Manhattan. En ce moment, on y trouve tasses, t-shirts et autres sacs à l’effigie de Kamala Harris.
Son engagement politique vaut à Julie Gaines de se faire beaucoup d'ennemis. Elle reçoit parfois des messages ou des emails de haine, glisse-t-elle en ouvrant son compte Instagram, sur lequel démocrates et républicains s’insultent sous l'annonce de cet événement. Elle lit à voix haute et avec calme quelques commentaires malveillants.
Elle réfléchit un court instant, avant d'ajouter: «Pour des raisons personnelles, ce serait tout simplement magnifique si, de mon vivant, une femme était élue présidente des Etats-Unis pour la première fois». Avant de saisir un micro et d'annoncer: «Chers visiteurs, au fond du magasin, vous pouvez écrire des cartes postales à des démocrates».
(traduit et adapté de l'allemand par Anne Castella)