Le duel entre Kamala Harris et Donald Trump se joue sur le fil du rasoir. Dans les sondages, la démocrate est en tête depuis plusieurs semaines, mais dans les Etats clés, impossible d'émettre un pronostic clair. Celui - ou celle - qui parviendra le mieux à mobiliser ses partisans sera probablement celui - ou celle - qui entrera à la Maison-Blanche.
Dans la perspective de cette course serrée, un mythe invoqué tous les quatre ans vient à nouveau pointer le bout de son nez: la «surprise d'octobre». Selon cette légende urbaine, un événement inattendu dans le sprint final de la campagne électorale pourrait donner un coup de pouce décisif à l'un ou l'autre camp. Mais cette hypothèse ne résiste que partiellement à un examen plus poussé.
L'expression «October Surprise» est devenue célèbre lors de la campagne électorale de 1980, lorsque le président sortant Jimmy Carter, en difficulté, luttait contre le républicain Ronald Reagan pour sa réélection. Les 52 Américains retenus en otage depuis plus d'un an à l'ambassade américaine de Téhéran constituaient un facteur important. Jimmy Carter espérait leur libération.
On soupçonnait déjà à l'époque Ronald Reagan et son équipe de campagne de vouloir empêcher cette «October Surprise». Il n'existe aucune preuve d'une telle intervention auprès des Iraniens, mais en 2023, des indices fraîchement réapparus plaident en ce sens. Quoi qu'il en soit, le républicain a remporté l'élection et les otages ont été libérés quelques heures après sa prestation de serment.
Depuis, à chaque élection, les spéculations vont bon train quant à une éventuelle «surprise d'octobre». Laquelle n'a jamais vraiment eu lieu, sauf lors de la campagne électorale d'il y a huit ans entre Hillary Clinton et Donald Trump. A commencer par la résurgence d'une tristement célèbre vidéo dans laquelle Donald Trump se vante d'attraper les femmes «par la chatte». Beaucoup pensaient alors que sa candidature était terminée.
Hillary Clinton semblait assurée de la victoire, mais onze jours seulement avant l'élection, le directeur du FBI James Comey a ouvert une nouvelle enquête sur les e-mails qu'elle avait stockés sur un serveur privé lorsqu'elle était secrétaire d'Etat. Son avance dans les sondages s'est notablement réduite, ce qui a peut-être contribué à la victoire surprise de Trump.
Tous les experts ne s'accordent pas sur cette théorie, mais pour l'historien David Greenberg de l'université Rutgers dans le New Jersey, l'effet Comey est la seule «surprise d'octobre» qui pourrait avoir eu une influence directe sur le résultat de l'élection.
Cette année encore, les résultats s'annoncent extrêmement serrés. Les surprises étant impossibles à prévoir, les spéculations vont bon train sur une éventuelle «surprise d'octobre» qui pourrait aider Kamala Harris ou Donald Trump.
Le Proche-Orient est en guerre depuis un an et de nombreux signes laissent présager d'une escalade. Israël a annoncé des représailles contre les tirs de missiles iraniens de la semaine dernière, sans pour autant les mettre encore à exécution. On spécule sur une attaque contre le programme nucléaire ou les raffineries, les champs pétrolifères et les terminaux d'exportation comme ceux de l'île de Charg.
Le président Joe Biden a fait des allusions en ce sens, entraînant immédiatement une hausse des prix du pétrole brut - ce qui pourrait nuire à Kamala Harris, car les Américains sont sensibles au prix du pétrole et de l'essence en particulier. Cet aspect a probablement été abordé mercredi lors de l'entretien téléphonique entre Joe Biden, sa vice-présidente et Benjamin Netanyahu.
Bien que les Etats-Unis soient habitués aux ouragans, Helene et Milton, tous deux dévastateurs, ont frappé le sud-est du pays en très peu de temps. Donald Trump et son entourage inondent le gouvernement Biden de théories du complot, en affirmant par exemple que l'agence de protection contre les catastrophes a détourné des fonds destinés aux migrants.
Alors que Milton faisait rage, Joe Biden et Kamala Harris se sont efforcés de montrer leur présence. Ces catastrophes naturelles pourraient être un atout pour la démocrate, puisqu'ils sont une preuve flagrante des conséquences du réchauffement climatique, que Trump continue de minimiser. Kamala Harris pourrait ainsi convaincre certains électeurs de l'importance des investissements dans les énergies renouvelables.
Les relations délicates de Donald Trump avec l'appareil démocratique sont récemment revenues sur le devant de la scène, lorsque le procureur spécial Jack Smith a publié son dernier rapport sur le rôle de l'ancien président lors de la prise du Capitole, le 6 janvier 2021. Le procureur s'oppose à l'immunité présidentielle brandie par Trump contre les poursuites judiciaires qui lui collent aux baskets.
A cela s'ajoute les révélations du nouveau livre de la légende du reportage, Bob Woodward, au mois d'octbre. Le journaliste à l'origine du Watergate y met en lumière l'amitié de Donald Trump avec l'autocrate Vladimir Poutine, jusqu'à la livraison de tests Covid à une époque où ils étaient rares aux Etats-Unis.
Reste à savoir si ces événements pourraient vraiment avoir une influence significative sur le résultat. Il reste à peine quatre semaines avant les élections du 5 novembre. La politique étrangère ne joue généralement pas un rôle central dans les élections américaines, sauf si elle concerne directement le pays.
Les «révélations» de Jack Smith et Bob Woodward ne semblent pas suffisamment surprenantes pour faire basculer le résultat. Quant à Kamala Harris, si elle s'est récemment rattrapée sur le thème délicat de l'économie, en particulier auprès des femmes, pas sûr que cela constitue pour elle un facteur décisif. Quoi qu'il en soit, la «surprise d'octobre» restera un mystère qu'au 5 novembre, même pour les observateurs les plus aguerris. «Je n'ai plus d'ongles», confesse l'historien de l'université Rutgers, David Greenberg à la BBC. Et nous non plus.