Son nom ne vous dit peut-être rien, mais sa dégaine pourrait vous être plus familière. Un colosse d'1m93 au ventre prohéminant et au crâne lisse «comme une boule de démolition» (dixit le Washington Post, en 2018), qui arpente les couloirs du Sénat américain strictement en sweat-shirt et en short, quelle que soit la saison.
Une passion vestimentaire qui a conduit à l'adoption, à l'unanimité, d'une résolution au Sénat, en septembre 2023, le «Show Our Respect to the Senate Act» («Montrez notre respect au Sénat») abrégé «SHORT», pour obliger les sénateurs masculins à porter une veste, une cravate et un pantalon lorsqu'ils se baladent dans le bâtiment.
Cet homme, c'est John Fetterman. Un démocrate originaire de Pennsylvanie. Mais aussi un personnage atypique, rendu célèbre par son franc-parler et son style tranchant sur les réseaux sociaux.
Ancien maire d'une petite ville ouvrière, ce quinquagénaire à la carrure impressionnante est décrit aussi bien comme un «ogre bienveillant», un «introverti» et un «grincheux» que comme «drôle», «intelligent». Et tout le monde s'accorde sur son immense potentiel politique.
Un oiseau rare, vous l'avez compris. Mais surtout, un homme qui se trouve, un peu malgré lui, au coeur de l'actualité politique des derniers jours.
La faute, en bonne partie, à un article kilométrique du New York Magazine publié il y a une dizaine de jours. L'auteur, un journaliste qui suit la trajectoire de cette comète politique pennsylvanienne depuis ses débuts, revient sur les problèmes de santé physique et mentale qui accablent John Fetterman depuis ses débuts en temps que sénateur, en 2022. Et qui inquiètent, à nouveau, son entourage.
Il faut dire que John Fetterman est passé par d'innombrables épreuves, ces dernières années. Quelques mois avant son élection au Sénat, en pleine bataille électorale contre le républicain et célèbre médecin Mehmet Oz, il est victime d'un AVC qui manque de peu de le tuer. S'il se remet et remporte cet âpre combat politique, un an plus tard, en mars 2023, il est hospitalisé à nouveau dans une clinique du Maryland, de son plein gré cette fois, pour une dépression sévère.
Mais là encore, défiant tous les pronostics, John Fetterman se relève de manière spectaculaire pour s'investir à 200% dans sa tâche de sénateur. Son ouverture sur ses problèmes de santé mentale a été saluée par tous les bords politiques. «L'époque obscure des secrets et de la honte est révolue», s'émerveille le magazine The Atlantic.
Et puis voilà qu'on apprend qu'il y a un an, en mai 2024, son ancien chef de cabinet, Adam Jentleson, a adressé au neuropsychiatre chargé de son traitement au centre médical Walter Reed un long email alarmiste. En cinq mots? John ne va pas bien.
Dans le détail, John Fetterman «mange du fast-food plusieurs fois par jour», aurait cessé de prendre ses médicaments, acheté une arme à feu ou conduirait de manière «si imprudente» que son personnel refuserait de monter à bord de sa voiture.
Autres sources d'inquiétude sur la liste de l'ancien conseiller? «Pensées conspirationnistes; mégalomanie (...); sautes d'humeur; monologues interminables, décousus, répétitifs et égocentriques; mensonges qui sautent aux yeux de tous.»
Il ne s'agit là que d'un seul des nombreux témoignages d'inquiétude des 18 collaborateurs anciens et actuels interrogés par le magazine. Tous dressent le portrait d'un homme devenu «presque impossible à gérer» et dont la santé mentale est «plus grave et complexe qu'on ne le pensait».
Outre une potentielle «rechute» et les attitudes de plus en plus «étranges» du sénateur, l'article revient également en détail sur sa prise de position farouche en faveur d'Israël depuis l'attaque par le Hamas du 7-Octobre (au grand damn de son parti et de sa femme) ou encore son «rapprochement» avec Donald Trump.
Après la victoire du républicain en novembre, John Fetterman, «impertubable», est effectivement l'unique sénateur démocrate à avoir accepter de se rendre à Mar-a-Lago.
Le pèlerinage du démocrate au manoir de Floride n'était qu'un début. Car John Fetterman est allé plus loin. Il a également été le seul démocrate à voter pour Pam Bondi, la candidate de Donald Trump au poste de procureure générale. Puis, il a failli soutenir Pete Hegseth, le candidat au poste de secrétaire à la Défense, accusé notamment de mauvaise gestion financière et d'inconduite sexuelle.
En parallèle, toujours en proie à des difficultés cognitives dues à son AVC, John Fetterman s'est de plus en plus isolé. Sans oublier du nombre de vote qu'il a manqué au Sénat.
Publié le 2 mai, l'article du New York Magazine n'a pas manqué de susciter de vives réactions à Washington, notamment au sein d'un parti démocrate encore profondément traumatisé par le retrait tardif de Joe Biden de sa dernière campagne, au milieu des questions sur son acuité mentale et son aptitude à exercer ses fonctions.
Du côté du principal concerné, John Fetterman dénonce sur CNN un article «incroyablement invasif», publié dans une «publication très à gauche» et basé sur des informations provenant d'«une seule source». Ou peut-être, nuance-t-il, «de deux ou trois membres du personnel anonymes et mécontents qui disent des choses absolument fausses».
Pendant que plusieurs démocrates (dans l'écrasante majorité des cas, de manière anonyme) se sont bousculés au portillon pour faire part de leurs inquiétudes dans la presse américaine. En public, le parti préfère garder contenance et afficher un soutien de circonstance. «Il fait du bon travail et c'est un bon législateur», a résumé Chuck Schumer, le chef de la minorité au Sénat.
Mais, étonnamment, c'est à droite que les voix se sont le plus élevées en faveur de John Fetterman. Citons Dave McCormick, républicain de Pennsylvanie, qui a déclaré à Politico que John «est authentique et combatif, et que ces attaques honteuses contre lui ne sont pas le John que je connais et que je respecte».
Dans un éditorial virulent, le Wall Street Journal s'agace. «John Fetterman souffre bel et bien d'une maladie invalidante: une soudaine modération politique», écrit le média économique à tendance conservatrice, persuadé que cette fronde contre le démocrate découle de son attitude collaborative avec les républicains et l'administration Trump.
Malgré sa solitude croissante dans son propre camp, qui ne semble pas le déranger particulièrement, John Fetterman est encore décidé à achever son mandat, qui court jusqu'en 2028. D'ailleurs, personne n'a encore appelé à sa démission. En privé, détracteurs comme alliés ne pensent pas qu'il démissionnera de sitôt.
S'il y a un problème, il «doit être résolu et peut l'être», note un législateur anonyme au magazine New York. «Il a déjà réussi ça une fois, et il peut le refaire», ajoute-t-il, en référence à l'année où John Fetterman s'est fait interner de lui-même au Centre médical militaire national Walter Reed pour des soins psychiatriques.
Manager et gagner avec les personnalités «atypiques»... Jusqu'à présent, il semblerait que cela soit encore l'apanage des rivaux républicains.