Demandez à Ron DeSantis, le gouverneur de Floride, ce qu’il pense de Susie Wiles. Si sa campagne présidentielle a fini dans la poubelle du parti républicain en deux-deux, il ne faut pas chercher plus loin: Susie Wiles. Son nom ne vous dit rien? Normal. Cette stratège de 67 ans opère dans l’ombre, telle une femme de main débarquée tout droit des meilleurs thrillers politiques. Un discret bulldozer qui écrase tout ce qui se met en travers du chemin de ses patrons successifs. Ronald Reagan fut l’un d’eux, quand cette républicaine de souche, élevée dans un conservatisme old-fashion, décapsulait sa carrière dans les années quatre-vingt.
Il y a les amis et le boulot. Ce n’est pas parce qu’elle a contribué à faire du pauvre DeSantis un redoutable gouverneur de Floride en 2018 que l’amour est aveugle et infini. Deux ans plus tôt, cette fille d’une ancienne gloire de la NFL baptisée Pat Summerall, s’était chargée de tirer les ficelles pour hisser Donald Trump une première fois à la Maison-Blanche. Rebelote en 2024 avec le plébiscite que l’on connaît. Sans Susie Wiles dans les pattes, pas sûr que le gourou MAGA aurait été capable d’opérer un tel come-back le 5 novembre dernier.
Et Trump le sait mieux que personne. Si bien que jeudi soir, sans grande surprise, il a fait de cette indispensable directrice de campagne la nouvelle White House Chief of Staff du futur président des États-Unis. En bon français, Trump a choisi sa nouvelle cheffe de cabinet.
Il y a dix ans, Susie Wiles passe les portes de la Trump Tower de New York pour la première fois de sa vie. Une révélation. Pourtant, selon son ami Paul McCormick, l'entretien avec le milliardaire ne l'avait pas mise immédiatement à l'aise. Cité par Politico, le consultant politique basé en Floride confiait qu'elle «était assise à plus de six mètres de Donald Trump». Comme Will Swith durant son concours d'entrée chez les Men in Black, elle ne se gênera pas une seconde pour déplacer tous les meubles, histoire de se rapprocher physiquement de son futur.
Droit au but, mais avec élégance. Une année plus tard, c'est elle qui fera en sorte que la Floride devienne rouge vif, projetant Donald Trump dans le Bureau ovale.
Son talent, elle le tient de sa mère, le «calme au milieu de la tempête». Rigueur et stratégie. Rien ne doit être fait ou dit sur un coup de tête. Celle que l'on surnomme «la jeune fille de glace» a eu les reins suffisamment solides pour donner à la troisième campagne présidentielle de Donald Trump une structure beaucoup plus disciplinée et complexe. C'est grâce à elle que Trump a su trouver la bonne tonalité pour draguer et convaincre la communauté latino de Floride de voter pour lui.
Ce n’est pas tellement un hasard si la sexagénaire est aujourd’hui l’élément le plus fiable de futur président. Même si certains républicains modérés n’ont toujours pas saisi la raison de ce dévouement pour un autocrate en puissance. Si l'on en croit son entourage, Susie Wiles sait bonifier les mâles dysfonctionnels. Son papa alcoolique lui aurait servi d'apprentissage.
Elle aussi réprimande les voix discordantes, en martelant que «peu de gens sont capables de comprendre Donald Trump». Ceux qui l’ont côtoyée le disent, Susie Wiles n’est pas une conseillère personnelle parmi d’autres, mais le bras armé du milliardaire et sans doute la tacticienne la plus énigmatique du sérail politique américain. De celle qui se paie le luxe d’être crainte par ses alliés et respectée par ses ennemis. Durant sa carrière, on l’accusera souvent d’être à la source du feu qu’elle se faisait un malin plaisir d'éteindre dans la foulée.
Mais aussi de laisser s’échapper des informations dans la presse, pour parfaire l'image et aiguiller la communication des gouverneurs, des sénateurs et des candidats à la présidentielle qu’elle a aidés à briller. Les preuves manquent, mais les rumeurs renforcent sa réputation. Même si ces deux dernières années, elle s'est plutôt concentrée sur le colmatage des fuites préjudiciables, tant Donald Trump est un animal réputé pour se montrer incontrôlable.
Pour y parvenir, Susie Wiles ne lâche jamais son patron d'une semelle et s'escrime à gagner son respect. Surtout ne pas le contrer, mais lui prouver calmement qu'il a tort. Mar-a-Lago, Trump Force One, Trump Tower, de rallyes en entretiens officiels, la «jeune fille de glace» est toujours là, quelque part, tapie dans l'ombre, prête à lui chuchoter le mot qui fera mouche.
Lors de son discours de victoire, dans la nuit de mardi à mercredi, Donald Trump a tenu à la faire grimper sur scène. Une véritable torture pour celle qui ne s’épanouit qu’à l’écart des projecteurs et «lorsque la pression est forte». Une spin doctor de la vieille école, qui lance des attaques comme dans une partie d’échecs, tout en chérissant son carnet d’adresses.
Dans quelques mois, Susie Wiles aura donc son bureau à la Maison-Blanche. C'est d'ailleurs la première fois qu'une femme occupe le poste hautement stratégique de cheffe de cabinet. Alors que Donald Trump promet de façonner le gouvernement à son image, avec des sous-fifres totalement acquis à son idéologie, la «jeune fille de glace» va sans doute mener discrètement ce grand nettoyage.