Bouffer tout cru le Groenland et le Canada. Renommer le canal de Panama en une nuit. Planter une Trump Tower à Ibi(Ga)za. S’inviter sur le Mont Rushmore. Cribler de taxes le monde entier. Démembrer l’Union européenne. Sermonner Volodymyr Zelensky. Fragiliser l’équilibre mondial pour une paix intéressée en Ukraine. Bâillonner les éveillés, harceler les universités, interdire des mots.
Deux mois après son intronisation, la démesure de Donald Trump ne montre aucun signe de faiblesse. Briguer un troisième mandat alors qu’il vient tout juste d’effleurer son second serait sa dernière lubie. Entretenue par une sphère médiatique et une opinion publique que plus rien ne surprend, avec l’aide d’une base de fidèles qui, paraît-il, n’attend que ça.
Trump, condamné au Bureau ovale à perpétuité, lui qui risquait plus ou moins la même peine dans une cellule autrement moins clinquante. Belle ambition. Pour cela, le président MAGA devra néanmoins défoncer les remparts de la Constitution américaine et convaincre une majorité des deux tiers au Congrès que ce fantasme d’autocrate en téléchargement est une brillante idée pour l’avenir du monde.
Autant dire que la voie officielle a de (très) grandes chances de mourir dans l’œuf et que les éventuels raccourcis made in Trump ne sont même pas encore envisagés par le principal intéressé.
Ce qui ne l’empêche pas de souffler le chaud et le froid, de refuser de démentir, de jeter des idées en l’air, bien conscient que le sujet motive et effraie avec la même intensité. Faire monter JD Vance pour le remplacer ensuite? «C’est une méthode, mais il y en a d’autres». Défier Barack Obama en 2028? «J’adorerais ça, mec. Oui j’adorerais ça». Encouragé par une arène médiatique qui joue à se faire peur et des fidèles qui n’attendent que ça, Donald Trump sait qu’il lui suffit de laisser planer le doute pour qu’il se nourrisse tout seul.
Contrairement à d’autres chefs d’Etat, Donald Trump ne prend jamais la précaution de se fermer lui-même des portes quand des journalistes le questionnent sur son avenir. Rajoutez à cela le fait que tout le monde sait désormais de quoi le président américain est capable et vous obtenez une énième bombe à retardement. Pour le gourou MAGA, la Constitution n’a jamais été un obstacle crédible. Tout comme la justice, contre laquelle il a remporté de nombreuses batailles en 2024.
Vous souvenez-vous de cette époque, pas si lointaine, où les galères judiciaires de Trump ont contraint les Américains, la Cour suprême et les spécialistes de la Constitution à se demander si un candidat peut oui ou non être élu depuis une prison? La mécanique, ici, est la même. Dimanche, le professeur de droit Derek T. Muller a fouillé dans ses compétences pour rappeler que...
La seconde colle que Trump (im)pose indirectement aux experts, et qui s’est également (im)posée durant la campagne présidentielle, est la mise en pratique de la Constitution. Autrement dit: qui prendrait la responsabilité de faire appliquer correctement des lois qui dorment depuis plus de 200 ans? The Atlantic, qui a poussé le curseur jusqu’au bout, se montre pessimiste:
«Oh shit, here we go again», selon l’adage du jeu vidéo GTA. Donald Trump n’a même pas commencé à envisager réellement sa reconduction imposée que l’impossible devient réel. Pour l’égo du 47e président des Etats-Unis, c’est un shoot d’endorphine d’affirmer que tant de gens le réclament déjà pour quatre ans de plus dans le Bureau ovale. Sans oublier le merchandising du clan MAGA, qui met toujours la charrue avant les bœufs.
Une manière, aussi, de faire durer sa vengeance et de pourrir les canaux d’information de plans sur la comète. De quoi, à court terme, détourner les regards des affaires courantes, du «Signalgate» aux taxes douanières.
Des plaisanteries effroyables qu’il est aujourd’hui très difficile de ne pas prendre au sérieux, dans un contexte criblé d’instabilité. Si bien que les journalistes qui l’accompagnent dans tous ses déplacements se sentent obligés de le cuisiner, jusqu’à lui soumettre des scénarios et, mine de rien, lui mâcher le travail. «Je n’y avais pas pensé», a-t-il par exemple balancé à Kristen Welker, de NBC News, après qu’elle lui a soumis la stratégie de l’élection de JD Vance.
Ses détracteurs, comme ses partisans, savent à quel point le milliardaire de Mar-a-Lago est disposé à piétiner les institutions et les lois quand il s’agit de sauver ses fesses et de gagner en crédibilité. C’est d’ailleurs ainsi qu’il a tenu la rampe jusqu’au 5 novembre 2024. Le 47e président aspire toujours à «afficher autant de force que possible», selon la formule du prof de droit Derek T. Muller.
Trump a tellement perverti les rouages de la démocratie que d’affirmer qu’il n’a aucune chance de briguer un troisième mandat revient peut-être à lui offrir une caresse sur l’échine et une bonne raison d’essayer. «Vers l’infini et au-delà», disait Buzz l’Eclair.