La science est une épine dans le pied de Trump et de sa clique de «Make America Great Again». Il considère les universités comme des foyers du «wokisme» et de l'idéologie du «DEI» (diversité, équité et inclusion), qu'il déteste. Et elles doivent disparaître. La semaine dernière, le président a donc signé une ordonnance présidentielle qui prévoit de supprimer purement et simplement le département de l'éducation.
Il a confié cette mission à sa ministre de l'Education, Linda McMahon. Une femme qui semble avoir été fabriquée pour ce poste. Par le passe, elle a dirigé la WWE (World Wrestling Entertainment), l'une des principales fédérations américaines de catch.
Or un simple décret présidentiel ne suffira pas à faire disparaître le département de l'Education. L'accord du Congrès et au moins 60 voix sont nécessaires pour empêcher une obstruction au Sénat. Les républicains ne les ont pas. Mais Donald Trump compte frapper les universités là où ça fait le plus mal: sur le plan financier.
Il s'en prend en particulier aux membres de l'Ivy League, ces universités américaines d'élite comme Harvard, Columbia, Yale, Princeton, etc., qui doivent leur nom à leurs vieux murs recouverts de lierre. Katie Miller, membre de l'équipe DOGE (Département de l'Efficacité gouvernementale) d'Elon Musk, a déjà annoncé avec ironie que les «recteurs des universités qui prônent l'idéologie DEI voient désormais leurs caisses noires asséchées».
Concrètement, cela signifie que l'Université de Pennsylvanie, par exemple, verra ses fonds fédéraux réduits de 250 millions de dollars par an. Les sciences humaines, tant décriées, ne sont pas les seules à en pâtir. Les sciences naturelles sont également mises à mal, notamment parce que les coûts des laboratoires et de leurs installations ne seront plus pris en charge.
Ce qui fait craindre le pire à Kimberly Cooper, professeure de biologie à l'Université de Californie à San Diego, qui explique dans le New York Times:
Larry Jameson, président par intérim de l’université de Pennsylvanie en Philadelphie, parle quant à lui d'une «menace existentielle pour l'ensemble de l'enseignement supérieur américain».
L'université de Columbia, à New York, et l'université de Harvard, à Cambridge, dans le Massachusetts, sont toutes particulièrement visées. Dans ces universités, de violentes protestations contre les bombardements israéliens sur la bande de Gaza ont eu lieu à l'automne 2023. Les deux rectrices de ces universités ont dû démissionner après une audition mouvementée devant une commission de la Chambre des représentants.
Ces universités se sont vues reprocher de ne pas avoir fait assez pour empêcher les débordements antisémites. Raison pour laquelle l'université de Columbia devrait désormais se voir retirer 200 millions de dollars de subventions.
Les mêmes accusations sont portées contre l'université de Harvard. Sa rectrice Claudine Gay a été contrainte de démissionner après son intervention ratée devant le Congrès et a dû par la suite se défendre contre une campagne de plagiat. L'ancienne diplômée de Harvard et députée républicaine Elise Stefanik en a été la principale instigatrice. Trump l'a depuis nommée ambassadrice américaine à l'ONU.
Dans le cas de Harvard, des mécènes privés se sont également exprimés, notamment le gestionnaire de fonds spéculatifs Bill Ackman. Egalement diplômé de la plus prestigieuse université américaine, il l'a soutenue pendant des années avec des subventions à sept chiffres.
Dégoûté par le prétendu «wokisme» qui règne sur le campus de Cambridge, cet ancien sympathisant démocrate a changé de camp politique et s'est transformé en fan inconditionnel de Trump. C'est pourquoi il soutient les projets du président de drainer financièrement l'université.
Les universités de l'Ivy League peuvent certes compter sur des fonds de mécènes. Mais elles dépendent tout de même du soutien de l'Etat pour leurs recherches. Ce mélange a permis d'obtenir d'excellents résultats. «Avec des fonds publics et privés, Harvard a créé une petite ville médicale», constate Nathan Heller dans le magazine New Yorker.
Ces petites cités scientifiques sont en danger, non seulement parce que les fonds publics sont réduits, mais aussi parce qu'un nouveau climat totalitaire s'est installé. Après s'être solidarisés avec des étudiants protestataires, certains professeurs se voient refuser l'accès aux bibliothèques - ce qui n'est pas sans rappeler les pires jours de l'hystérie anti-communiste de la guerre froide. «Le parallèle historique est clair comme de l’eau de roche», lâche le politologue Ryan Enos dans le magazine New Yorker.
Les conservateurs de droite veulent faire plus que détruire les universités libérales - ils veulent aussi créer des alternatives. L'une d'entre elles est l'université d'Austin.
Fondée en 2021 et généreusement soutenue par des personnes comme l’entrepreneur américain Peter Thiel, elle doit devenir le contre-modèle de Harvard et incarner le nouvel esprit de la Silicon Valley. L'historien Niall Ferguson et la journaliste Bari Weiss sont les principaux leaders de cette université.
Les universités comme Harvard et Columbia sont des leaders mondiaux et un élément important du soft power américain - ce qui ne les rend toutefois pas intouchables. «Des spécialistes renommés de l'enseignement supérieur n'ont cessé de souligner que les universités américaines regorgent de contradictions», constate Nathan Heller. «On peut s'émerveiller de ce miracle, mais il est aussi possible de ne pas voir à quel point cet équilibre est fragile».
(Traduit de l'allemand par Anne Castella)