S'il y a un sujet qui donne actuellement du fil à retordre au président russe, c'est bien l'économie de son pays. Le cours du rouble s'est récemment effondré, tandis que l'inflation s’envole. En plus, Moscou souffre de sanctions sévères imposées successivement par l'Occident après l'invasion de l'Ukraine par les troupes du Kremlin.
Lors de sa grande conférence de presse annuelle. le chef du Kremlin a eu du mal à rassurer sa population sur la situation économique du pays. «On a quelques problèmes, à savoir l'inflation, une certaine surchauffe de l'économie», a-t-il expliqué. Le gouvernement et la banque centrale sont toutefois déjà chargés de ralentir le rythme de l'inflation. Poutine a parlé d'un «signal alarmant», mais a également qualifié la situation économique de «stable et fiable».
Compte tenu de la surchauffe de son économie en guerre, Poutine a donné un ordre clair: la banque centrale doit prendre une décision «équilibrée» en matière de taux d'intérêt, a-t-il déclaré. C'était un signe adressé à la directrice de la banque centrale, Elvira Nabioullina. Celle-ci avait annoncé début décembre vouloir relever le taux directeur. Mais vendredi, la banque centrale a décidé de le maintenir à 21%. Nabioullina avait sans doute bien compris le message, car Poutine cherchait déjà un bouc émissaire.
«Il aurait été nécessaire de prendre ces décisions à temps», a assuré Poutine en faisant référence au taux directeur. Mais Elvira Nabioullina ne lui a pas encore communiqué le montant effectif du nouveau taux directeur, a-t-il précisé. Poutine a qualifié le taux d'inflation en Russie de «désagréable et mauvais», mais espère «pouvoir y faire face tout en conservant les indicateurs macroéconomiques».
Selon lui, l'inflation en Russie s'est élevée à environ 9,2 à 9,3% sur l'année. Les experts prévoient même un taux d'inflation allant jusqu'à 10% d'ici la fin de l'année. Poutine a en outre estimé que son pays connaîtrait une croissance économique allant jusqu'à «peut-être même 4%». Pour l'année prochaine, il s'attend donc à une croissance plus faible d'environ 2%. Il a appelé cela un «atterrissage en douceur».
L'économie russe est confrontée à plusieurs problèmes. Ces dernières années, le Kremlin a injecté des sommes importantes dans l'armée et l'industrie de l'armement. Ce qui a créé environ deux millions de nouveaux emplois, stimulant ainsi fortement la croissance économique. Mais le pays se heurte désormais à ses limites. Le chômage ne s'élève qu'à 2,4%. Il manque de la main-d'œuvre pour répondre à la demande qui reste élevée.
A cela s'ajoutent les sanctions de l'Occident, qui renchérissent considérablement les importations pour la Russie. D'une part, les mesures punitives compliquent la logistique du pays, car de nombreux biens ne peuvent pas être importés directement, mais uniquement via des pays tiers. D'autre part, en raison des sanctions contre le secteur financier, les entreprises russes ne peuvent plus effectuer de paiements internationaux que par des voies compliquées, la plupart du temps par l'intermédiaire de prestataires tiers qui veulent gagner beaucoup d'argent. A cela s'ajoute une nette baisse des recettes provenant des exportations de pétrole, de gaz et de charbon.
Et puis, en novembre, suite aux nouvelles sanctions américaines contre la Russie, le cours du rouble s'est effondré de 15% par rapport au dollar. «Nous avons un nouveau facteur inflationniste, le taux de change», a reconnu la directrice de la banque centrale Nabioullina début décembre.
Jusqu'à présent, le moyen choisi par la banque centrale russe pour lutter contre la hausse des prix a été l'augmentation constante du taux directeur. Selon certains comptes rendus, elle aurait même prévu de le porter à 23% en décembre. A titre de comparaison, ce taux est actuellement de 3% dans l'UE.
Elvira Nabioullina est depuis longtemps confrontée à de vives critiques de la part des forces proches du Kremlin à cause de sa politique monétaire. Ce n'est qu'à la mi-novembre que le Centre d'analyse macroéconomique et de prévisions à court terme a publié une étude dans laquelle il mettait en garde contre un choc pour l'économie russe en raison du taux directeur élevé. La production pourrait s'effondrer, de nombreuses entreprises risquent de se retrouver en cessation de paiement ou de faire faillite.
L'économiste Nabioullina est la plus haute gardienne de la monnaie russe depuis 2013. Elle est la première femme à diriger la banque centrale russe. Jusqu'à présent, elle a toujours suivi une ligne de conduite stricte: permettant à l'économie russe de traverser la crise de manière stable, mais se heurtant aussi souvent à Poutine. Au début de l'année, la poursuite du contrôle des capitaux pour stabiliser le rouble a donné lieu à une dispute. Poutine voulait les maintenir, contrairement à elle.
Mais le chef du Kremlin sait aussi ce qu'il doit à Nabioullina: sans ses mesures de stabilisation, sa guerre en Ukraine n'aurait probablement pas été possible. De plus, depuis son entrée en fonction, elle a modernisé l'économie russe et fermé des banques considérées comme corrompues. Il est donc peu probable que Poutine la démette de ses fonctions prochainement.
Mais la pression monte: non seulement l'économie du pays s'affaiblit, mais elle est aussi en mauvaise posture par rapport à la performance économique ukrainienne. Comme le rapporte le journal britannique The Economist, la monnaie ukrainienne, la hryvnia, est stable. En outre, l'économie ukrainienne devrait croître de 4% cette année et même de 4,3% l'année prochaine. Le taux directeur est actuellement de 13,5%, son niveau le plus bas depuis plus de deux ans. Autant de choses qui ne devraient pas plaire à Poutine.
Traduit de l'allemand par Anne Castella