Sa présence au rallye de Donald Trump à Butler, en Pennsylvanie, est un événement en soi. C’est la première fois qu’Elon Musk, fier et puissant allié du candidat républicain, apparaissait à ses côtés dans un meeting officiel. Et pas n’importe lequel. Puisque c’est dans cette petite ville que le politicien de 78 ans a manqué de se faire assassiner le 13 juillet dernier, d’une balle qui ne frôlera finalement «que» son oreille.
Samedi soir, devant une foule d’une rare densité, Donald Trump a décidé de rejouer la scène, désormais historique, au geste près. De quoi faire cracher quelques larmes et attirer une nouvelle fois l’attention, dans un Etat clé et à moins de 30 jours de l’élection présidentielle.
Mais c'est Elon Musk qui va draguera toute la lumière et achèvera d'électriser les fidèles. Comme à son habitude, il foulera l'estrade en sautillant maladroitement, manquant d'effrayer le politicien avec ses gestes brusques.
Manifestement honoré d'être de la partie, et conscient que sa présence pèse lourd, l'homme le plus riche de la planète semblait aussi nerveux qu'un étudiant à la remise des diplômes. Impressionné par la marée humaine et l'enjeu, il lâchera un rire gorgé de trac, avant de prononcer ses premiers mots.
Et c'est là que ça coince.
#Breaking: "I AM DARK MAGA." - Elon Musk onstage with Trump pic.twitter.com/vLLNbdGzwz
— HustleBitch (@HustleBitch_) October 5, 2024
On pourrait penser qu’il faisait simplement référence à la casquette noire «Make America Great Again» qu’il s’était vissée sur le crâne avant son entrée en scène. Cette visière, sous-titrée «Never Surrender» («Ne jamais capituler», en français), est d’ailleurs l’une des dernières babioles en vente sur le shop du 45e président des Etats-Unis.
Or, «Dark MAGA» est aussi et surtout une frange annexe du mouvement lancé par Donald Trump en 2015, que le Global Network on Extremism & Technology (GNET) décrit comme un «groupe radical d'extrême droite», qui met «régulièrement en avant des images nationalistes blanches et néonazies». Et c'est en janvier 2022 que les premières salves de propagande ont été repérées sur Internet.
Sans grande surprise, ces «ultras» ne misent pas tant sur les armes démocratiques pour y parvenir. Et son existence hante méchamment l'assaut du 6 janvier 2021.
Mais «Dark MAGA», c'est d'abord une esthétique, bourrée d'effets tirés de la science-fiction et projetant Donald Trump dans un futur violent et dystopique où il terrasse tous ceux qui l'empêcheraient de régner sur le monde. Sans doute avez-vous déjà croisé l'un de ces mèmes un rien diaboliques, reconnaissables par leurs couleurs (rouge et noir) et ces lasers qui sortent des orbites.
Car ce qui n'était encore qu'un élan marginal en janvier 2022 s'est très vite étendu par la suite, atteignant les propagandistes de l'alt-right les plus populaires des réseaux sociaux et certains représentants de la Chambre à la botte du milliardaire de Palm Beach, à l'instar de la complotiste Marjorie Taylor Greene.
When it comes to Make America Great Again, I’m all in, and I can’t even understand anyone who is not.#UltraMAGA pic.twitter.com/6KyTP7ftus
— Rep. Marjorie Taylor Greene🇺🇸 (@RepMTG) May 7, 2022
S'il a fait les beaux jours de Twitter au début, c'est sur Telegram que cette armée s'est déployée pour pousser Donald Trump à se porter candidat en 2024, bien qu'il n'ait jamais reconnu ou soutenu publiquement le mouvement. Le GNET avait d'ailleurs trouvé une comparaison étonnante à ce violent désir de vengeance, dans un article de Newsweek datant du mois d'avril 2022:
En clair, les partisans les plus agressifs du candidat républicain l'ont longtemps imploré de muscler à la fois sa politique et son attitude, le trouvant parfois trop indulgent avec ceux qui lui ont «volé l'élection», face à Joe Biden en 2020. Sur les réseaux sociaux, le hashtag #darkmaga était d'ailleurs régulièrement accompagné d'un message sans ambiguïté:
Pour Tim Squirrell, responsable de la communication et de la rédaction à l’Institute for Strategic Dialogue, «Dark MAGA» est né de la volonté «d'unir les factions disparates de l'extrémisme de droite, qui se sont largement fracturées après le tristement célèbre rassemblement raciste Unite the Right à Charlottesville en 2017».
En 2022, le GNET avouait déjà à l'époque qu'il est difficile de discerner l'ironie des véritables appels à la violence, tant ce mouvement joue avec les codes humoristiques propres à Internet. D'autant plus que cette esthétique a été largement empruntée par les démocrates pour se moquer des pro-Trump, avec la création de «Dark Brandon» - une version futuriste de Joe Biden crachant des lasers par les yeux. Aujourd'hui encore, ce graphisme fait partie des meilleures ventes du merchandising de campagne et il fut empoigné par le président lui-même, notamment dans certaines vidéos de campagne.
Mais pour Tim Squirrell, à l'époque déjà, «le problème c'est que Dark MAGA radicalise encore plus un mouvement déjà assez radical». Deux ans plus tard, force est de constater que le programme et la rhétorique agressifs de Donald Trump n'a plus rien de dystopique. En 2024, la vengeance est plus que jamais au bout des lèvres des partisans du candidat républicain, dont certains sont prêts à tout pour reprendre le pouvoir.
On ne sait pas encore pourquoi Elon Musk, l'un des provocateurs de droite les plus influents de son propre réseau social, et qui a littéralement ouvert ses algorithmes à l'extrême droite, a évoqué Dark MAGA, samedi soir. Pour certains observateurs, il se peut également qu'il ait simplement donné un coup de pouce à la cryptomonnaie du même nom. Durant le discours du patron de SpaceX, le cours de cette monnaie à d'ailleurs pris l'ascenseur, selon le média Wired.
Une chose est sûre, le nouveau leader de «Dark MAGA» est prêt à tout pour remettre le pouvoir entre les mains de son nouveau meilleur ami. Durant le meeting de Butler, il a scandé que «Trump doit gagner l'élection pour préserver la Constitution. Il doit gagner pour préserver la démocratie en Amérique. Parce que sinon, on risque de ne plus jamais avoir d'élection dans le pays».