Bienvenue à Kansas City. Même arbres, mêmes briques rouges, mêmes devantures de boutiques et de restaurants. Même maisons et porches plus ou moins soignés, où s'empilent les courges et les décorations d'Halloween. Même ciel azur - qui, même lui, donne l'impression d'avoir été passé au filtre «Pumkin Spice». Cependant, Kansas City et Kansas City ne sont les mêmes villes. L'une se trouve dans l'Etat du Missouri. L'autre dans l'Etat du Kansas. Et gare à quiconque oserait les confondre.
Lorsqu'il était encore président des Etats-Unis, Donald Trump en personne était tombé dans le panneau. Une gaffe tristement célèbre survenue le 2 février 2020, quelques minutes après que l'équipe des Chiefs ait remporté leur premier Super Bowl en 50 ans.
«Félicitations aux Chiefs de Kansas City pour leur superbe match et leur remontée fantastique, sous une pression immense, avait tweeté l'ancien président, avant de supprimer son tweet quelques instants plus tard, informé de sa méprise. Vous avez très bien représenté le grand Etat du Kansas et, en fait, tous les Etats-Unis. Notre pays est FIER DE VOUS!»
Or, les Chiefs, comme beaucoup d'Américains le savent, jouent du côté de l'Etat Missouri. Si les habitants du coin sont tellement habitués à la confusion de la part des touristes qu’ils l'accueillent avec un sourire et un haussement d’épaules, ils avaient tiqué lorsqu'elle était survenue de la part de leur chef d'Etat.
«Missouri, Kansas... On peut se montrer légèrement... pointilleux à ce sujet», reconnait Lauren, la propriétaire de Mad Day, une papeterie située du côté Missouri de Kansas City, lorsque nous lui posons la question.
«KCMO» (Kansas City Missouri, comme la qualifient ses habitants) compte environ trois fois plus d'habitants que Kansas City, côté Kansas («KCK»). A l'instar de la barrière invisible qui sépare le canton de Vaud de celui de Neuchâtel ou de Genève, voire la Suisse allemande et romande, la frontière entre ces deux villes ne tombe pas sous le sens. Une simple route, où se tiennent des rangées de maisons, de part et d'autre.
Kansas City, comme son nom ne l'indique pas, est née dans l'Etat du Missouri, fondée sous l'impulsion d'un missionnaire et entrepreneur américain, John McCoy, en 1830 - quelques années avant que l'Etat du Kansas ne soit fondé (lui-même tient son nom de la rivière Kansas, inspirée d'un peuple d'Amérindiens local).
John McCoy avait opté pour cette zone géographique pour y ouvrir un magasin d'équipement pour les pionniers, en direction du Nouveau-Mexique et de l'Oregon, avant d'établir plus tard un débarcadère pour bateaux, qui a permis le développement économique de la région.
C'est à peu près à la même époque, juste de l'autre côté de la frontière dans l'Etat du Kansas, que de nouvelles colonies ont commencé à s'établir. Une région devenue par la suite le foyer de populations slaves, hispaniques et afro-américaines. Un héritage qu'elle conserve aujourd'hui encore. «Kansas City du Kansas est considérée comme plus noire et plus pauvre que le côté Missouri, plus blanche et plus riche», nous explique une habitante de «KCK», devenue célèbre pour ses chanteurs de jazz, son barbecue et ses équipes de base-ball.
Deux Kansas Cities étaient nées. Séparées par la frontière entre le Missouri et le Kansas. Chacune évoluant de son côté. La plus jeune aurait volontairement adopté le nom de sa voisine pour bénéficier de la renommée et du boom économique de son aînée - sans oublier de duper les financiers new-yorkais pour qu'ils lui prêtent de l'argent. Quant à savoir si la méthode a réellement porté ses fruits...
«Pas vraiment», selon Lauren, la patronne de la papeterie située côté Missouri. Car la plupart des commerces et des points d'intérêts de Kansas City se trouvent toujours de «son côté» de la frontière. «Concerts, évènements...Tout ce qui est divertissant est situé dans le Missouri», affirme-t-elle.
Ce qui n'empêche pas chaque Etat de part et d'autre de redoubler d'efforts pour attirer les business et les entrepreneurs - au point qu'en 2019, les gouverneurs des deux Etats ont signé un accord pour cesser d'offrir des incitations financières pour attirer les entreprises de leur côté de la frontière.
L'accord ne semble pas s'appliquer aux Chiefs, l'équipe de football qui fait la fierté de l'Etat du Missouri et dont fait partie Travis Kelce, le boyfriend de Taylor Swift. L'emplacement du stade reste âprement disputé à ce jour par chaque Etat.
En ce qui concerne les habitants de part et d'autre du fleuve Missouri, sur le plan personnel ou culturel, pas de grandes différences ni de conflits, glissent les habitants que nous avons rencontrés. «A part les Chiefs, tout va bien, nous assure Colin, serveur au Room 39, un restaurant situé à quelques pas de la frontière. S'il y a une rivalité, elle est bonne enfant.»
«On s'entend parfaitement», renchérit Kevin, habitant du Kansas qui travaille dans un «Liquor Shops», un magasin spécialisé dans la vente d'alcool, dans le Missouri.
«Impossible de dire d'un tel ou d'un tel qu'il vit d'un côté ou de l'autre», atteste également Tom, patron de Prospero's Books, une librairie située côté Missouri, non loin de la route qui sépare les deux Etats. Le sexagénaire, qui a hérité de son local il y a plus de 25 ans, ne le quitterait toutefois pour rien au monde.
«Je pense que la principale différence réside dans le fait que les gens du Kansas ont une sorte de... fierté. Un truc lié à leur histoire», nous précise un jeune serveur chez Rebel Coffee.
En effet, alors que le Missouri était un Etat esclavagiste au début du 19e siècle, le plus jeune Kansas a fini par rejoindre le camp de l'Union, aux côtés des Etats abolitionnistes.
Une rivalité aujourd'hui plus douce qu'amère. Complexe, subtile et inexplicable aux étrangers. Un peu à l'image de notre bon vieux Röstigraben.