«Oh ma pauvre chérie, tu es toute seule?». Debout dans l'encadrement de la porte, Molly nous jette un regard mi-affligé, mi-sympathique. L'air de se demander ce que peut faire cette pauvre meuf toute seule déguisée en clown sur son palier, a priori bien trop vieille pour faire la tournée du quartier pour quelques friandises.
Avec un poil de gêne, nous tentons de lui expliquer le but de la manœuvre. Ok, ça commence à faire un bail que nous avons passé le permis de conduire et obtenu le droit de boire de l'alcool - ce qui ne nous empêche pas d'adorer les bonbons, les déguisements, les films d'horreur débiles et tout ce qui a trait à cette formidable fête d'Halloween que la plupart des Européens rejettent d'un coup de balai (de sorcière) comme «trop commerciale».
Ce soir, nous aimerions surtout comprendre pourquoi Halloween fait partie du patrimoine américain, au même titre que le Coca-Cola, la voiture ou le Big Mac. «C'est une bonne question», concède Molly, la trentaine, en training sur le perron de son immense maison coloniale dans le quartier de South Hyde Park, à Kansas City. «En fait, c'est ma mère qui s'occupe de tout ça», ajoute-t-elle avec un grand geste de la main pour englober les toiles d'araignées géantes et les squelettes en plastique qui encombrent son porche.
On ne va pas lui donner tort. Une partie de notre amour pour Halloween réside dans nos souvenirs. Quand, affublée de fausses dents pointues en plastique ou d'un chapeau de sorcière, flanquée de quelques copains d'école, nous gambadions joyeusement de maison en maison dans le quartier pour accumuler Haribo, Snickers et autres délices à nous en rendre malades, sous la bonne garde d'un papa patient.
Quelques pâtés de maisons plus loin, David, un jeune père de famille en jogging dont le fiston gambade joyeusement affublé d'un one piece requin, est bien en peine de me répondre.
Nous n'aurons pas l'occasion de poser la question à l'arrêt suivant. Une sorte de manoir respectable qui perd un peu de son sérieux avec son portail en forme de chat gonflable géant et ses citrouilles en plastique multicolores.
La propriétaire, une sexagénaire en peignoir dont la dégaine évoque vaguement l'épouse alcoolique du «Diable» dans Hocus Pocus, se hâte de nous fourrer une poignée de sucreries dans notre sac, avant de nous claquer la porte au nez avec une délicatesse toute relative. Dommage, nous aurions adoré la cuisiner sur ses choix décoratifs.
«Pour moi, c'est une occasion de sortir du quotidien», nous détaille plus longuement Hannah, une quadragénaire dont le chat en ballon planté sur la pelouse côtoie des panneaux appelant à voter pour Kamala Harris, alors que l’élection présidentielle se profile dans une poignée de jours.
«C'est comme fêter Noël. C'est une tradition importante. On est habitués à le faire depuis tout petit, explique pour sa part Leo, un enseignant à la retraite, vêtu d'un pyjama et flanqué d'un Labrador curieux. Je n'ai pas d'enfants, mais ça me fait plaisir de voir ces petits monstres gambader dans les rues.»
Un peu plus loin, Laura, nous ouvre la porte de sa maison avec un froncement de sourcil méfiant. «Vous n'êtes pas un peu trop grande pour réclamer des bonbons?» s'enquiert-elle. Rassurée de constater que nous ne sommes pas une sorte de psychopathe solitaire lâchée dans la nature, elle ose un haussement d'épaules et un petit rire quand nous la complimentons sur l'extraordinaire bouche géante qui orne son porche.
La soirée avance, les passants et les farfadets en costume se font plus rares, tout comme le stock de douceurs et les maisons encore allumées. «Ohhh, désolée! J'ai été dévalisée! Vous voulez une barre de céréales?» s'excuse Mary, une mère de famille, en nous tendant des Rice Krispies Treats. Cette tragique pénurie marque la fin de notre tournée.
Notre soirée s'achève au pub du coin, Mainstreet Tavern, où karaoké et concours de déguisement animeront la nuit jusqu'à 3 heures du matin. Entre deux services, Mirella, la patronne des lieux, costume indéterminé, nous refourgue un shot de vodka à la cannelle et un compliment sur notre dégaine de clown. «On est tous un peu obsédés par Halloween, non? C'est comme ça aux USA, chérie!» assure la jeune femme avec un large sourire sous sa perruque argentée.