Tout le monde attendait le moindre signe de vie. Depuis lundi, ses groupies comme ses ennemis pariaient sur le lieu, le jour et l'heure de son retour sur un écran. Privé d'un jour à l'autre de ses fidèles 3,5 millions de téléspectateurs, le puissant Tucker Carlson a dû quitter Fox News le feu aux fesses et la queue entre les jambes.
Le clown de la droite dure américaine a passé presque dix ans a distribuer à haute dose désinformation, mensonge, manipulation, racisme, misogynie et homophobie, en direct tous les soirs à 20 heures, dans l'émission qui portait son nom. La chute est brutale pour celui qui ne vivait quasiment que de l'exposition de sa propre personne. Et les spéculations sont allés bon train.
Tucker Carlson aurait d'ailleurs reçu très vite une offre d'emploi en provenance de Moscou, pour dérouler son affection au régime de Poutine sur la chaîne controversée RT, autrefois Russia Today. Et ce, quelques heures seulement après le séisme médiatique. Il faut dire que le roi déchu n'a jamais caché son scepticisme concernant le soutien occidental l'Ukraine.
Vladimir Soloviev, avec qui Tucker partage ce même talent pour la paranoïa et le complot, s'est permis de lui adresser un message, qui a au moins le mérite d'être clair: «Nous serons heureux de te proposer un emploi si tu souhaites continuer en tant que présentateur! Tu seras toujours le bienvenu en Russie et à Moscou».
C'est dans un e-mail, adressé personnellement à Carlson, puis partagé sur son compte Telegram, que le propagandiste en chef de la télévision d'Etat a ciré les pompes de son jumeau américain. Il termine sa missive par une allusion à la fonction suprême, en invitant Tucker à viser la Maison-Blanche.
La chaîne RT, qui se plaît à récupérer les indésirables du monde entier (on se souvient du présentateur français Frédéric Taddeï), sait qu'on aura peu de chances d'apercevoir un jour celui qui considère Zelensky comme un «dictateur» au volant d'une émission sur CNN.
C'est la rumeur qui plaît et effraie en même temps, mais elle rampe dans l'estomac de tous les observateurs politiques américains. Tucker président? Le principal intéressé a toujours dit que ça ne l'intéressait pas. Notamment en 2022, dans une interview à The Independent, comme s'il tenait à minimiser volontairement son influence à l'antenne de Fox News: «Je ne veux pas de pouvoir. Je n'ai jamais voulu le pouvoir. Je suis agacé par beaucoup de choses et je veux qu'elles changent. Mais je n'ai jamais été motivé par le désir de contrôler les gens.»
Oui, mais voilà, Fox News, c'est terminé. Va-t-il reconsidérer son point de vue sur son entrée en politique? Les médias américains sont tous d'accord sur un point: Tucker aurait le fric, le pouvoir et le vivier de fidèles nécessaires pour envisager de taquiner Trump sur son terrain. Certains, surtout ceux qui nagent dans le même bain politique que Tucker, n'hésite pas à l'imaginer faire un carton.
Bon nombre de commentateurs misent volontiers sur un ticket DeSantis-Carlson pour ôter toute chance au vieux MAGA, empêtré dans de sales histoires judiciaires, de faire cavalier seul au sommet des rêves républicains. Or, et c'est d'ailleurs souvent le cas, il suffit de perdre son trône médiatique, son joujou bourré d'audience, pour retomber très vite dans la bassine des célèbres comploteurs marginalisés.
Certes, l'extrême droite américaine a planté pas mal de mauvaises graines dans la terre féconde du podcast, notamment sur YouTube. Alex Jones en est sans doute le meilleur exemple. C'est lui qui avait dû gérer Kanye West quand le rappeur a porté Adolf Hitler aux nues, sous une cagoule intégrale. Un éditorialiste bourrin, riche, puissant et très suivi sur différentes plateformes, mais toujours relativement inconnu de l'Américain moyen.
Sans trop se mouiller, on peut considérer que l'ancienne poule aux oeufs d'or de Rupert Murdoch a encore trop d'amour pour le grand spectacle populaire. Pour la télévision classique, celle de papa, qu'on allume au moment du Fried Chicken familial. Pour Tucker, l'idée a toujours été de concurrencer ses confrères de CNN, sur le même terrain, avec les mêmes armes. Le bullshit, oui, mais hissé au rang de l'establishment. Il faut dire que ce n'est pas partout, ni tous les jours que l'on peut raconter des inepties sur un canal officiel, chaque soir à 20 heures.
En d'autres termes, s'il a effectivement tout pour lancer son propre média, le deuil est encore à faire.
Une chose après l'autre. Jeudi, Tucker Carlson a rompu enfin le silence depuis son licenciement. Cloîtré dans son studio personnel, l'ex-journaliste le plus regardé du câble américain a tenu à rassurer ses fans et menacer (plus ou moins) ses détracteurs. Deux minutes d'un monologue plutôt attendu, dans lequel il affirme notamment avoir été liquidé par les gardiens de la pensée unique et réitère son amour obsessionnel pour la vérité. Comprenez, pas celle de Joe Biden et de ses amis de l'Etat profond.
Car le danger est bien là. Se débarrasser de Tucker le menteur au sommet de Fox News, c'est marginaliser et conforter encore un peu plus les millions d'Américains qui ont perdu toute rationalité et confiance en l'Etat démocratique. Ce qui représente tout de même 3,5 millions de téléspectateurs abandonnés d'un jour à l'autre sur le bas-côté. Et ça, Carlson le sait,