Pendant quelques heures, ce jeudi 11 avril, l'influenceuse la plus célèbre du monde n'a plus donné signe de vie. Une photo d'un sweat à capuche Skims sur Instagram, une autre d'un short de vélo, et puis plus rien. Nada. Le silence. Pas un mot, un seul, pour l’homme qu’elle appelait autrefois «tonton OJ». Peut-être Kim Kardashian a-t-elle préféré méditer en privé sur la manière dont, ces dernières décennies, sa famille a pris soigneusement ses distances du sportif déchu? A-t-elle pris un moment pour réfléchir au rôle fondamental d'OJ Simpson sur la consolidation du nom Kardashian? Peut-être.
Une chose est sûre. En 1967, lorsque Robert Kardashian, 23 ans, fils d'une famille d'immigrés arméniens fortunés installés à Los Angeles, croise pour la première fois la route d'OJ Simpson, son patronyme n'a pas encore l'écho planétaire qu'il trouvera 50 ans plus tard. Pour le moment, le jeune Robert est un «waterboy» au sein de l'équipe de football de l'université de Californie du Sud, les Trojans. Une équipe dont un certain OJ Simpson fait la gloire et les beaux jours.
Il faudra patienter six ans supplémentaires que le destin et l'amitié des deux camarades se nouent définitivement, sur le court de tennis d'un ami commun. Robert est désormais un homme d'affaires et avocat prospère dans le domaine du divertissement, OJ la star incontestée des Bills de Buffalo.
Leur amitié est immédiate, évidente. Bureaux, business, investissements dans des sociétés de production de clips musicaux ou de frozen joghurt, ils partagent tout. Leur confiance est implicite. Quand OJ envisage d'acheter une nouvelle maison à Brentwood, c'est à son ami qu'il demande de l'accompagner pour visiter le charmant domaine de Rockingham.
Entre temps, Robert Kardashian a rencontré Kris, une hôtesse de l'air de 17 ans à l'air mutin et à la coupe de garçonne, qu'il n'a pas tardé à épouser.
Kris est enceinte de leur première fille, Kourtney, lorsque leur camarade OJ tombe sous le charme d'une serveuse du «Daisy», restaurant chic de Beverly Hills. Son nom? Nicole Brown.
Le début d'un quatuor inséparable, cimenté par la naissance de leurs enfants, les vacances de ski à Aspen et d'été sur les plages du Mexique. La douceur ne dure pas. En «pleine crise de la trentaine», à la fin des années 80, Kris cède aux sirènes d'une aventure extra-conjugale. Son mari la prend sur le fait, le divorce est prononcé dans la foulée. La mère de quatre enfants refera bientôt sa vie avec un second mari Bruce Jenner, ancien athlète olympique. La future Madame Caitlyn Jenner, après une transition très médiatisée en 2015. Vous suivez toujours?
Du côté de «tonton OJ» et «tata Nicole», au début des années 90, ce n'est guère mieux. Un relation en montagnes russes, entre crises, disputes, séparations et retrouvailles intermittentes. Avec candeur, Kris espère que le couple de sa meilleure amie se remettra. Elle lui dispense même quelques conseils conjugaux. Ce qu'elle ignore, c'est que sa meilleure amie est victime de violences conjugales. Le soir du Nouvel An 1988, OJ a battu Nicole si violemment qu'elle a dû être hospitalisée. C'est la neuvième fois que la police doit intervenir au manoir de Brentwood.
Leurs proches n'en savent rien. Secrète, parfois distante, Nicole se ne plaint jamais. Quand son mari lui offre une Porsche après l'avoir frappée au visage, tout ce qu'elle trouve à dire à ses amis est qu'elle se sent «idiote» au volant d'une Porsche avec un œil au beurre noir. Nicole et OJ finissent par divorcer officiellement en 1992.
A peine plus d'un an plus tard, le cadavre poignardé et ensanglanté de Nicole Brown Simpson est retrouvé devant son appartement blanc crème, dans la cour de Bundy Drive, aux premières heures du dimanche 13 juin 1994. A ses côtés gît le cadavre de son ami, Ronald Goldman.
OJ Simpson vient d'atterrir à Chicago lorsqu'il reçoit un coup de fil de la police. Il est prié de sauter dans le premier avion et de revenir aussi sec à la maison pour un interrogatoire. C'est son ami fidèle, Robert Kardashian, qui passe le cueillir à l'aube, à l'aéroport de Los Angeles. L'avocat encore anonyme l'ignore, mais il s'apprête à être projeté malgré lui au coeur du «procès du siècle». Lorsque son meilleur ami, à défaut de s'être rendu comme prévu aux autorités, se lance dans un rodéo dramatique à travers la cité des Anges.
Une fuite retransmise sous les yeux de la nation toute entière, en direct, par toutes les télévisions - quitte à devoir interrompre les finales de la NBA 1994 - pendant laquelle Robert tente vainement de téléphoner à son ami pour lui faire entendre raison.
Il n'en fallait pas plus pour faire de ce petit homme à l'air agréable et sérieux, perdu sous un nuage de cheveux noirs méchés, une célébrité étrange. Accidentelle. «En une semaine, l'assaut a commencé. Je n'étais absolument pas préparé à l'avalanche de journalistes, de caméras et de membres du public bouche bée qui a assiégé ma maison et a envahi ma vie», témoignera-t-il par la suite.
A la demande de l'avocat principal, Robert Shapiro, Robert Kardashian devient un membre clé de l'équipe de défense juridique de son ami. Un allié aussi officiel qu'officieux. Ironie du sort, il n'a pas pratiqué le droit depuis 20 ans et doit réactiver sa licence. Mais Robert le sait. Il doit en être. Servir de rempart. «Je connais OJ mieux que quiconque dans l'équipe juridique», justifie-t-il au Times, en 1994. «Il y a tellement de choses que je sais sur sa personnalité. Mon travail consiste à assurer la stratégie et la liaison entre OJ et ses avocats.»
L'avocat en a conscience. L'ampleur du procès et ses décisions ne seront pas sans conséquences sur sa jeune famille. A la veille du procès, en 1994, dans une lettre adressée à son ex-femme Kris et à leurs quatre enfants, Kourtney, Kim, Khloe et Rob, il écrit: «Je dois mener cette affaire à terme. Je crois sincèrement en l'innocence d'OJ et, à moins qu'ils ne le déclarent coupable, je continuerai à le soutenir.»
Un voeu pieux. Car si Robert a pris parti pour son ami OJ, son ex-femme a voué allégeance à la famille de Nicole Brown. Son meurtre a laissé Kris dévastée. C'est elle qui s'est rendue dans l'appartement de son amie, pour emballer les affaires des enfants dans des cartons. Chaque matin, son nouveau mari doit la supplier pour sortir du lit et enfiler son jean. Ce qui ne l'empêchera pas d'assister à la quasi-totalité du procès. Enceinte de son cinquième enfant, Kendall, auquel elle donnera pour second prénom, celui de Nicole. Nicole, dont elle s'emballe dans les vêtements de maternité. Comme une armure.
Dans la salle d'audience bondée du «procès du siècle», fracture entre les parents Kardashian est violente, nette, béante. Leurs filles, Kourtney et Kim, sont âgées respectivement de 16 et 14 ans. Incapables de déterminer vers quel parent se ranger. Quel camps choisir. Avant de finir par rallier leur père, «tout seul», quand leur mère est «heureusement remariée».
«Nous avions l’impression d’être vraiment au milieu de ce procès», se souvient Kim en 2009, sur le talk-show Dr Phil. «Je me souviens d'une fois, au palais de justice, Kourtney et moi y sommes allées avec mon père. Ma mère était assise en face, avec la famille de Nicole Brown. Nous pensions que notre mère était en colère contre nous parce que… Nous étions assises avec notre père.»
Lorsque le jury rend son verdict le 3 octobre 1995, au terme d'un procès controversé, douloureux et trop long, difficile de deviner ce que pense vraiment Robert Kardashian. Les mots ont été prononcés. «Non coupable.» Ses traits sont fermés, son expression presque mécontente. Une image déroutante, de la part d'un homme qui a déchiré sa propre famille pour protéger son ami.
Des mois plus tard, lorsqu'il confie ses impressions à deux journalistes, à l'occasion d'un livre consacré à l'affaire, Robert Kardashian et OJ Simpson ont coupé les ponts. Les deux amis ne se parlent plus. «J'ai des doutes», confie l'avocat en 1996, sur ABC News. Farouchement loyal, il emportera ses secrets dans la tombe, en 2003, des suites d'un cancer. Quant à sa fille, Kim, elle ne souhaite plus vraiment aborder la question.
La disparition de Robert Kardashian ne marque pas la fin des liens troubles entre sa famille et l'athlète déchu, finalement condamné pour le meurtre de Ronald Goldman et Nicole Brown au civil, en 1997. Près de vingt ans plus tard, son spectre revient hanter la dynastie la plus célèbre d'Amérique, après la publication des mémoires de Kris Jenner. Un livre dans lequel elle confesse platement sa liaison extra-conjugale, du temps de son mariage avec l'avocat disparu Robert Kardashian. Le public se déchaîne, les rumeurs vont bon train. Khloé, troisième fille du couple née en 1984, ne serait-elle pas la fille naturelle d'OJ Simpson?
Le principal intéressé s'est senti obligé de répondre aux rumeurs persistantes en 2019, le jour de la fête des Pères. Dans une vidéo publiée sur X, il affirme: «Bob Kardashian, il était comme un frère pour moi. C'était un gars formidable. Il a rencontré et épousé Kris, et ils ont passé des moments vraiment formidables ensemble. Malheureusement, cela s'est terminé.»
Involontairement, le footballer déchu a suivi les traces de ce «frère» perdu. Après des années troubles, marqué par les problèmes juridiques et des séjours derrière les barreaux, OJ Simpson a annoncé en mai 2023 son propre diagnostic de cancer. La maladie, comme son ami avant lui, aura fini eu raison de sa résistance, le 10 avril 2024.
«Bon débarras!», crache Caitlyn Jenner sur les réseaux sociaux, en guise d'hommage posthume. Elle sera la seule du clan à s'exprimer. Une famille bien empruntée par le succès qu'elle doit à ce précurseur d'un flux incessant d'émissions de télé-réalité. De la soif inextinguible de nombreux Américains pour les potins sur les célébrités. Le type même de renommée incarnée aujourd'hui par la famille Kardashian.