Depuis plusieurs mois maintenant, TikTok est dans le collimateur des autorités américaines. Ces dernières accusent la plateforme chinoise – qui comptabilise 170 millions d'utilisateurs aux Etats-Unis – d’espionner et de manipuler les citoyens. Des accusations réfutées par les dirigeants de l'application.
Ce mercredi, la Chambre des représentants a adopté une proposition de loi qui vise à interdire le réseau social aux Etats-Unis. Le texte est désormais entre les mains du Sénat, qui risque toutefois de s'opposer à cette mesure.
Faut-il réellement s'inquiéter? Me Sébastien Fanti, avocat spécialisé dans la protection et la régulation des données, explique.
Les Etats-Unis ont-ils raison d'avoir peur de TikTok?
Me Sebastien Fanti: Cela dépend de quel point de vue on se place. Fondamentalement, il y a un risque aux Etats-Unis comme ailleurs pour les citoyens, les entreprises et les administrations. Ce risque est toutefois différent selon les utilisateurs et le domaine dans lequel nous travaillons.
C'est-à-dire?
Diverses études ont été faites à ce sujet. En Europe par exemple, des administrations publiques ont interdit l'utilisation de TikTok. (Réd: En 2023 par exemple, la Commission européenne a interdit à ses employés d’installer l’application sur leurs téléphones). En Suisse en revanche, des institutions comme l'armée ou la police se servent du réseau social. C'est une aberration, car nous vivons dans un monde de prédation de données. Le principe de précaution voudrait que nous fassions plus attention.
Quelles informations sensibles pourraient être dévoilées lorsqu'une administration publique poste une vidéo sur TikTok?
Si nous prenons l'exemple de l'armée suisse, des informations qui indiquent où se situent certaines bases aériennes peuvent évidemment être obtenues autrement que sur TikTok. Il faut en revanche garder en tête que les Etats ciblent plutôt les personnes de référence qui ont du poids, qui pèsent dans les décisions et qui sont parfois mises en avant dans les vidéos. Une fois identifiées, elles seront contactées directement lorsque les autorités d'un pays auront besoin d'elles.
En quoi TikTok est-elle plus dangereuse qu'Instagram ou Facebook?
La différence est l'usage qui est fait des données récoltées. Aux Etats-Unis, un pays démocratique, il existe des garde-fous qui règlent cette utilisation. Ce n'est pas le cas dans des Etats totalitaires comme la Chine. Si nous ne sommes pas satisfaits de la manière dont nos données sont collectées aux Etats-Unis, nous pouvons aller devant la justice. La méthodologie de récolte de données est attaquable et vérifiable, ce qui n'est pas le cas en Chine. Nous ne savons pas ce que TikTok fait avec nos données, contrairement à Meta.
La proposition de loi adoptée par la Chambre des représentants a été critiquée par Pékin, qui dénonce des «pressions destinées à écarter injustement des entreprises étrangères». Les Etats-Unis ne cherchent-ils pas simplement à rester les acteurs dominants du secteur technologique?
Je pense qu'il y a un peu des deux. Les Américains ont certainement envie de garder le monopole. Mais je ne pense pas que cela soit l'unique raison qui explique leur volonté d'interdire TikTok. Selon moi, les services de renseignement américains ne veulent pas prendre le risque qu'un pays comme la Chine possède autant de données sur les citoyens.
A force d'entendre ce discours, nous aurions presque envie de supprimer TikTok de nos téléphones...
Il est de la responsabilité de tout un chacun de gérer ce risque. Les gens publient de nombreux éléments en ligne, sur TikTok comme ailleurs, qui paraissent anodins de prime abord, mais qui permettent d'obtenir énormément d'informations sur la personne.
Si le scénario américain se concrétise, l'Europe et la Suisse vont-elles suivre l'exemple?
Je ne pense pas. Nous n'avons pas autant peur. En revanche, si les Américains prennent une décision, ils l'appliquent. Et cela risque de faire très mal.