Il est 12h32, ce samedi 29 juillet, lorsque le fameux «canal 16», le canal de détresse, sort le CrossMed, le centre régional opérationnel de surveillance et de sauvetage de la Méditerranée, de sa torpeur estivale. A l'autre bout du fil: le propriétaire italien d'un yacht de 20 mètres, le Cujo, en proie à la panique.
Son moteur est allumé pour tenter de pomper l'eau, mais l'embarcation est déjà en train de s'enfoncer au niveau de la coque avant tribord. Il faut faire vite. Très vite. Le bateau en difficulté se situe à 35 kilomètres au large de Beaulieu-sur-Mer. Même en naviguant à plein régime, les secours ne pourront rejoindre le lieu de l’incident qu’en 50 minutes.
Par chance, quelques instants plus tôt, le Cujo filant à toute allure en direction de la Corse est tombé dans l'oeil d'un navigateur. Claude Prat, propriétaire du voilier, avait haussé les épaules et décidé de ne pas s'en inquiéter. C'est alors qu'il est alerté par le signal de détresse radio.
Proche de la zone, le plaisancier rejoint le lieu de l'accident, comme il témoignera plus tard au Figaro. Sur place, il découvre une famille italienne de cinq personnes, accompagnée d’un skipper et d’un matelot. Parmi les sept naufragés «terrorisés», six ont déjà pris place à bord du zodiac de secours. Le septième nage à côté. Après un rapide bilan de santé, Claude Prat les transborde.
A leur arrivée, les gendarmes de la brigade nautique d’Antibes ne peuvent que constater l'avancée du naufrage. Les cabines sont déjà totalement immergées. Seules quelques valises, dans la cuisine et sur le pont, peuvent encore être récupérées. Toute opération pour récupérer le yacht s'avère impossible. En moins de deux heures, le Cujo sombre définitivement à 2430 mètres de profondeur, emportant avec lui un réservoir de 7000 litres de gasoil.
Les causes de l'incident sont encore troubles. Le yacht aurait heurté un objet non identifié, qui aurait provoqué une voie d'eau dans la coque. Certains locaux murmurent que l'intérieur du bateau, qui revenait d'un chantier, était «mal entretenu».
Reste que, sur la côte et dans les ports, l'accident fait jaser. Si loin des côtes, dans d'autres circonstances, le naufrage aurait pu virer au drame. «Si un incident comme celui-là s’était produit de nuit et avec une mer agitée, ça n’aurait pas été la même histoire. L’essentiel est que cela se termine bien», conclut Claude Prat.
Ce n'est pas la première fois que le nom du Cujo fait jaser. Lady Diana y a passé son dernier été, sur invitation de son ami, le play-boy richissime Dodi Al-Fayed.
Entre le Cujo, le Sokar et le Jonikal, les yachts de l’homme d’affaires Mohamed Al-Fayed, père de Dodi, la princesse prend le soleil et panse ses plaies. Il lui faut digérer sa rupture avec son amant Hasnat Khan, le deuil de son ami Gianni Versace et, enfin, sa contrariété face à la victoire de son éternelle rivale, Camilla. Pour ses 50 ans, le 15 juillet 1997, son ex-mari, le prince Charles, a organisé une somptueuse fête d'anniversaire à Highgrove, en l'honneur de sa maîtresse.
La suite, on la connaît tous. Le 30 août, la princesse de 36 ans et Dodi Al-Fayed prennent la direction de Paris. Le soir même, prise en chasse par des photographes dans les rues de la capitale, la Mercedes S280 heurte un pilier du tunnel du pont de l'Alma, à 110 km/h.
Construit en Italie en 1972 pour un homme d'affaires qui rêvait du «yacht le plus rapide du monde», le yacht de Dodi vient de connaître une fin aussi tragique que son ex-propriétaire. Son histoire avait pourtant bien commencé.
Dès les années 1990, amarré au large de Saint-Tropez, le Cujo est désormais propriété de la famille Al-Fayed et reçoit des hôtes de marque telles que Brooke Shields, Clint Eastwood, Tony Curtis et Bruce Willis. Après la mort de Dodi et de Diana, le yacht sera laissé plus ou moins à l'abandon, avant d'être restauré à grands frais par Moody, un cousin du défunt. Dès 2016, le Cujo fera office de navette pour les déplacements de la famille Al-Fayed depuis leur villa de Saint-Tropez.
C'est en 2020 que le bateau se trouve un ultime propriétaire en un jeune notable, à l'occasion d'une vente aux enchères. Acheté pour une bouchée de pain, environ 160 000 euros, ce morceau d'histoire de 20 mètres repose au fond de la Méditerranée. Pour l'éternité.