On aurait pu grimper jusqu'à Tampa. Peut-être même rejoindre Cedar Key, là où l'ouragan s'apprêtait à cogner durement la côte quelques heures plus tard. Pour tout vous dire, on a tenté de s'approcher de l'œil de l’ouragan par la route. Mais les rafales de vent à 180 km/h, les nombreux tronçons inondés, les «risques graves» de tornade, la voiture de location, les ordres d’évacuation et une certaine envie de vivre, nous ont incité à rester dans la région de Fort Myers.
Mercredi, cette petite ville de 80 000 habitants se préparait dans le calme à l'importante tempête tropicale qui promettait de débouler.
Et les tempêtes ne mentent jamais. «Si vous n'avez jamais dû faire face à un ouragan, ne vous aventurez pas trop longtemps en voiture, c'est le pire», nous glissera un habitué. Après une nuit très agitée, durant laquelle tous les palmiers ont perdu une grosse partie de leurs feuilles, l'eau a fait son entrée par la grande porte, celle de la Caloosahatchee River qui va très vite sortir de son lit.
Fort Myers, à peine remise de l'ouragan Ian de 2022, qui avait dévasté 98% de la ville, dort encore, ce jeudi matin, lorsque les premières places publiques deviennent impraticables. Il n'a pas encore plu. C'est le vent qui se rend responsable de la majeure partie des dégâts.
Aucun commerce n'a ouvert ses portes, les écoles et l'administration sont fermées, la police montre ses feux à chaque coin de rue.
L'ambiance est à la fois calme et à couper au couteau. Entre la ville fantôme de Lucky Luke et The Truman Show. Seul le Starbucks du coin draine les plus courageux à la recherche d'un remontant.
Sur les écrans de télévisions, les antennes locales de Fox et de NBC crachent leur breaking news, pour avertir les habitants que des tornades sont à redouter dans toute la région. Qu'Helene va secouer la côte dans l'après-midi. A l'heure du lunch, le vent se lève, Fort Myers Beach est déjà sous l'eau et le pont qui le relie au continent est fermé. On croise alors une Mercedes qui n'a manifestement pas écouté les infos.
A 14 heures, le vent se renforce méchamment, des panneaux se font la malle, des barrières se décrochent de leurs structures. Dans les rues de Fort Myers, seuls quelques SDF déambulent difficilement, à la recherche d'un coin moins exposé. Une sale impression de fin du monde plane sur cette région de Floride qui en a déjà trop connu. Les puissantes rafales vont inonder deux nouveaux quartiers du centre-ville en moins d'une heure. Et contrairement à Fort Myers Beach, au centre-ville les sacs de sable sont rares devant les portes des commerces.
Il faudra attendre 18 heures pour que le ciel se mette vraiment en colère. Le Starbucks a fermé, c'est désormais au Lucky Screw Bar d'accueillir les dernières âmes isolées. Sur la carte, un «Hurricane Ian» à base de rhum, comme s'il fallait digérer sans oublier. Accoudé au bar, un local se lève soudain d'un bon et tend sa carte de crédit au patron: le temps presse.
On suit le mouvement. Cette fois, c'est la moitié du centre-ville qui coule. Environ trente centimètres d'eau recouvrent le gros de la chaussée de Fort Myers, mais un calme étrange règne sur les rares trottoirs encore praticables. Les voitures de police se contentent de couper l'accès aux nouvelles routes inondées. Pas de pompier à l'horizon. Personne pour pomper ou stopper l'eau qui se propage.
Le caméraman de la chaîne NBC nous expliquera entre deux prises live «qu'il n'y a pas grand-chose à faire à part attendre que le temps fasse son travail et prier pour que ça monte le moins possible». Les commerces touchés devront bûcher pour tout remettre en ordre et pouvoir rouvrir le plus vite possible. Pas autant qu'il y a deux ans, mais l'ouragan a causé de nombreux dégâts dans toute la ville, en quelques heures.
Jeudi soir, ce qui a eu le pouvoir d'impressionner des Suisses vierges de tout ouragan attriste simplement les locaux. Certes, cette fois, le pire n'est plus à craindre. Fort Myers a eu chaud. Mais les colères du ciel sont trop nombreuses dans la région pour ne pas y penser quotidiennement.
Tard dans la nuit, quelques adolescents avinés jouent à se faire peur dans les rues transformées en rivières. A la radio, on annonce aux habitants n'ayant pas voulu évacuer de noter leurs coordonnées sur le corps. Pour que l'on puisse les identifier, s'ils venaient à ne pas survivre au passage d'Helene. Bonne ambiance. «On s'habitue même à l'enfer vous savez», nous glissera le réceptionniste de l'hôtel, avec un léger sourire de celui qui sait et avant que l'on rejoigne notre chambre.
Aujourd’hui, vendredi, c’est le nord de la Floride, mais aussi la Géorgie et les deux Caroline qui vont subir un «épisode d’une rare violence», avec des rafales à plus de 220km/h et des «inondations catastrophiques».