Impossible de passer à côté. Le long de l'Alligator Alley, l'autoroute qui traverse la Floride d'est en ouest, les panneaux menaçants se succèdent. La tempête Helene approche. Classée «ouragan majeur» lorsqu'elle frappera les côtes de Floride jeudi, elle promet déjà de faire des dégâts.
Faisant fi de ces avertissements, c'est à Fort Myers, une petite ville de 86 000 âmes où le passage meurtrier de l'ouragan Ian marque encore les esprits, que nous posons nos valises. Il y deux ans, presque jour pour jour, 97% des bâtiments avaient été endommagés ou détruits.
Ce jeudi, alors que des sacs de sable ont été distribués à travers tout le comté, pour protéger les maisons, les écoles resteront fermées jusqu'à nouvel avis et les habitants sont priés de rester cloîtrés chez eux. Toutes les activités gouvernementales ont été interrompues.
Sitôt posé le pied sur le parking du supermarché, afin de nous approvisionner en chips, barres de céréales et eau potable, le ton est donné. Calme et pragmatique. «J’en ai vécu plein des ouragans!» balaie Joanna. J’ai survécu à Charley en 2003 (L’ouragan le plus violent à avoir frappé les Etats-Unis, depuis Andrew en 1992), avec tous les traumatismes que ça avait pu créer».
«Je n’arrive plus vraiment à avoir peur, confesse-t-elle. C’est dans nos gènes. Quand on vit sur les côtes de Floride, on apprend à vivre avec. J’ai un bon ami qui est en Californie et, lui, c’est les tremblements de terre. C’est comme ça les Etats-Unis mec!»
Même son de cloche chez Leslie, la quarantaine, qui organise ce soir-là une «hurricane party» chez elle. Au menu? «Quelques verres, de la nourriture et un petite partie de cartes». Si elle se veut rassurante, elle ne manque pas de nous lâcher un avertissement:
A l'intérieur, le patron du supermarché nous assure que tout restera ouvert, même au plus fort de l'ouragan. «Business as usual». Les étagères d'eau minérale, à quelques mètres de là, semblent vouloir le contredire.
Au rayon charcuterie, Rich, fait calmement des courses «pour quelques jours» seulement. Dans son caddie, où une barquette de fruits frais côtoie une brique de lait, son fils de deux ans et demi se trémousse avec bonne humeur.
Le jeune père de famille se veut rassurant. «Ça va aller! Ian, c'était une autre affaire. On a été privés d'électricité pendant six jours. Avec le petit, qui avait à peine six mois, c'était compliqué. Cette fois-ci, je me fais moins de souci. «Evitez juste la plage», n'oublie-t-il pas d'ajouter, avant de poursuivre son chemin vers les yahourts.
Jeudi, en milieu d'après-midi, le ciel noircit sur Fort Myers. L'air chaud et humide balaie les rues du centre-ville. Pendant que les commerces les plus prévoyants ont déjà aligné les sacs de sable devant leur porte, la plupart des établissements annoncent qu'ils baisseront le rideau à 19h00 tapantes - pour rester portes closes le lendemain.
C'est le cas d'Hannah, qui s'apprête à fermer boutique. Même si cette tenancière d'un magasin de glaces ne rouvrira pas avant ce week-end, la jeune femme ne semble pas particulièrement inquiète. «Cette fois, ça n'aura rien à voir avec Ian», promet-elle. «En revanche, surtout, ne roulez pas vers le nord! Ça va être terrible», nous supplie-t-elle en nous tendant son dernier cornet de glace de la journée.
En attendant la tempête, de rares passants profitent encore de vadrouiller dans le centre, avant de se réfugier derrière leurs volets. Parmi eux, Joleen et Haileen. Avec un large sourire, les deux soeurs nous assurent que tout va bien se passer et réitèrent cet éternel conseil. «Vous dormez à quel étage? Le quatrième? Ah, super! Alors pas de problème. Le rez-de-chaussée, ça craint.»
Zach, la trentaine, nous confie qu'il va passer la soirée et la nuit chez ses parents, qui ont une maison au bord de l’eau. «Ils risquent une inondation là-bas, alors on va ranger le bateau et le protéger, pousser les meubles et les recouvrir». Sa petite maison à lui, située downtown, avait été complètement inondée lors de l'ouragan d'il y a deux ans.
Quant à Jimmy, la soixantaine, il se dit prêt. «Helene peut venir. J’ai l’habitude, vous savez.» Mais lui aussi frissonne à l'évocation de la catastrophe de 2022.
«J’ai beaucoup d’amis qui ont perdu tout ce qu’ils avaient. L’eau dépassait nos épaules. Je ne revivrais cela pour rien au monde, mais je suis heureux d’avoir traversé ces épreuves, parce qu’on apprend beaucoup sur soi-même dans ces moments-là», conclut ce vieux briscard avec sagesse. «La nature est puissante et elle nous le rappelle. Peut-être un peu trop en Floride, je trouve, mais c’est la vie, mais il faut rester humble», hausse-t-il les épaules en souriant.
«Humble». Précisément le mot qui définit le mieux Fort Myers et ses habitants, au pied d'une nuit agitée. Alors qu'Helene se transformait en ouragan de catégorie 1 en fin de journée, mercredi, il atteindra le stade «d'ouragan majeur» de niveau 3 ou 4, au moment de toucher terre jeudi en fin de journée, au nord-est de la Floride.
Et c’est peut-être parce qu’ils savent que, cette fois, le pire ne sera pas dans leurs rues, que quelques irréductibles bars de Fort Myers organisaient des «hurricane hour». Prêts à affronter le pire, gorgés d’humour noir. Comme le ciel.