Il s'y connaît en grandes réceptions et en belles images. Le président français Emmanuel Macron est connu pour mettre en scène les visites d'Etat. En 2017, il a invité Donald Trump à un défilé militaire le 14 juillet. Le président américain de l'époque était tellement enchanté qu'il a ordonné au Pentagone d'organiser un défilé militaire aux Etats-Unis pour la fête nationale de l'année suivante. Macron a su toucher un des points sensibles de Trump pour se faire respecter.
Avec la Chine, c'est peut-être une autre histoire. Le chef d'Etat chinois Xi Jinping était en France en ce début de semaine, pour entamer une tournée de cinq jours en Europe. C'était son premier voyage depuis cinq ans sur notre continent. Les pays qu'il a visités ont été soigneusement sélectionnés. Lundi, il a d'abord eu des entretiens avec l'Union européenne et le gouvernement français à Paris.
Mardi, Macron l'a invité à se rendre au col du Tourmalet dans les Pyrénées. Cette montagne, qui culmine à plus de 2000 mètres, est connue pour être l'une des ascensions les plus difficiles du Tour de France. Enfant, il y a passé beaucoup de temps chez sa grand-mère. Le président français y avait prévu une promenade et un repas avec Xi Jinping en montagne, dans un cadre intimiste.
Il faut dire que les conflits entre la Chine et l'Europe sont au centre des préoccupations. D'une part, les dirigeants chinois continuent de soutenir la Russie de Vladimir Poutine. D'autre part, les conflits économiques entre l'UE et la Chine ne cessent de s'aggraver. Xi Jinping est venu en Europe avec pour but d'apaiser ces tensions politiques. Mais le moment est mal choisi, alors que Vladimir Poutine en remet une couche avec de nouvelles menaces nucléaires. La Chine était dans l'embarras dès le début de sa tournée européenne.
La stratégie de Xi Jinping lors de ses entretiens avec Emmanuel Macron et la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a surtout consisté, lundi, à ne pas faire de promesses de mesures concrètes. Il s'agit pour la Chine de continuer à étendre son influence en Europe en minimisant les risques. Xi Jinping voit en Emmanuel Macron un partenaire important, car celui-ci s'engage pour une plus grande autonomie stratégique de l'UE et une plus grande souveraineté vis-à-vis des Etats-Unis.
Cela plaît aux dirigeants chinois, qui veulent, à terme, remplacer les Etats-Unis en tant que puissance mondiale dominante. Et Pékin poursuit en Europe l'approche classique de «diviser pour mieux régner». Les jours suivants, Xi Jinping, s'est rendu en Serbie et en Hongrie, deux pays proches de la Russie. Pour le puissant chef d'Etat chinois, ces deux Etats représentent des ponts solides entre l'Europe et la Chine.
En France, le président chinois savait à l'avance que les critiques allaient fuser. Après tout, la Chine fournit à la Russie des biens que le Kremlin utilise pour sa guerre en Ukraine. La République populaire laisse, en outre, la Russie utiliser le yuan chinois comme monnaie de nécessité. La Chine fait aussi le pont entre Moscou et la Corée du Nord, qui fournit quantité d'armes et de munitions à Poutine.
Officiellement, Xi Jinping ne veut rien avoir à faire avec tout cela. En amont de son voyage, il a même publié une tribune dans Le Figaro. Il y a écrit notamment, au sujet de la guerre en Ukraine:
Ces formulations volontairement peu concrètes peuvent questionner. Cette tactique n'est pas nouvelle. Peu après le début de la guerre en Ukraine, en février 2022, la Chine a été forcée de se positionner. Pékin a annoncé un plan de paix et une initiative qui n'ont pas vraiment abouti, mais qui ont réussi à faire retomber la pression.
La guerre est, cependant, une source d'irritation pour la Chine, car elle fait peser un risque sur les systèmes économiques occidentaux, ce qui pourrait aussi avec un impact sur les intérêts chinois. Mais Xi Jinping veut surtout éviter que Poutine ne perde. Car il voit en lui un partenaire stratégique dans la lutte pour un nouvel ordre mondial. La Chine ne veut pas risquer un changement de pouvoir en Russie.
A Paris, Xi Jinping a donc fait l'équilibriste: il a expliqué que la Chine s'est toujours engagée en faveur de la paix, tout en ajoutant:
On notera que le président chinois ne précise pas de quel pays il s'agit — mais tout le monde aura compris. En ce sens, la Chine joue la montre: elle espère que la Russie vaincra Kiev en Ukraine, mais ménage ses liens diplomatiques avec les adversaires de Moscou tant que la guerre durera.
Xi Jinping a aussi sous-entendu que la Chine ne participera pas à la conférence sur la paix, prévue en juin en Suisse. A Paris, il s'est dit favorable à l'organisation «en temps voulu» d'une conférence sur la paix acceptée à la fois par la Russie et l'Ukraine.
Mais lundi, le sommet du Bürgenstock était secondaire pour Emmanuel Macron. Alors que les Jeux olympiques de Paris se préparent en grande pompe, le président français en a plutôt profité pour évoquer une «trêve olympique» sur tous les théâtres de guerre pendant les JO.
Une trêve olympique pour tous les théâtres de guerre : c’est l’appel de la France à toutes les parties prenantes pour les Jeux de Paris.
— Emmanuel Macron (@EmmanuelMacron) May 6, 2024
Merci à la Chine d’avoir manifesté sa volonté de s’engager dans la même direction.
Xi Jinping lui aurait quant à lui assuré que la Chine s'engageait à «ne pas vendre d'armes à Moscou et à contrôler strictement les exportations de biens à double usage».
L'UE se retrouve, une fois de plus, les mains vides et, comme si cela ne suffisait pas, une nouvelle en provenance de Moscou a fait irruption dans la réunion de lundi. Poutine a annoncé une manœuvre de ses forces nucléaires tactiques. Ces déclarations qui ont valeur de tentative d'intimidation ont été ouvertement proclamées en réaction à celles d'Emmanuel Macron, qui n'a pas exclu l'envoi de troupes de l'Otan en Ukraine.
Et ce n'est pas un hasard si Poutine décide d'évoquer les armes nucléaires en ce moment, alors que les déclarations de Macron sur les possibles envois de troupes ont eu lieu en février. Ce faisant, il ne sape pas seulement les efforts de la Chine pour faire baisser la tension en Europe. Il met également Xi Jinping en position de faiblesse. Le dirigeant chinois s'est engagé pour que la Russie ne fasse pas usage de ses armes nucléaires. Cette concession de Pékin à l'Occident est une ligne rouge que Xi avait tracée à l'égard de Moscou.
Lundi, à Paris, le chef d'Etat chinois a renoncé à répondre publiquement aux questions des journalistes sur ce sujet. Vladimir Poutine a-t-il mal joué son coup? Cette gifle politique donnée à Xi Jinping au moment le plus inopportun pourrait bien mettre en colère les huiles de Pékin.
Car malgré leurs désaccords, la Chine et l'UE ont besoin l'une de l'autre, notamment sur le plan économique. C'est aussi ce qui ressort de la journée de lundi. Le président français poursuit une double stratégie. D'une part, il veut faire preuve de fermeté, d'autre part, il veut tendre la main à Pékin.
Il existe un deuxième sujet de discorde: la menace de guerre commerciale entre la Chine et l'UE. Lundi, Ursula von der Leyen a de nouveau reproché à Pékin de fausser la concurrence via d'importantes politiques de subventions au sein de l'industrie chinoise et a menacé de conséquences.
Pour la dirigeante, le marché européen ne pourra pas absorber cette «suproduction». L'Europe «ne se laissera pas dissuader de prendre des décisions difficiles pour protéger son économie et sa sécurité», a-t-elle ajouté.
Mais là encore, aucune concession n'a été faite, la partie chinoise ne se montrant pas impressionnée par les critiques. «Le prétendu problème de 'surproduction chinoise' n'existe pas», dira plus tard un communiqué du ministère chinois des Affaires étrangères. Xi Jinping aurait expliqué à Macron et von der Leyen que l'industrie chinoise augmentait l'offre sur le marché mondial pour réduire la pression inflationniste. Les dirigeants chinois spéculent probablement sur le fait que l'UE ne parvienne pas à se mettre d'accord sur des droits de douane punitifs communs.
Cela est également dû à l'attitude du chancelier allemand Olaf Scholz. Après le voyage de Scholz en Chine, en avril, des analystes américains ont critiqué le fait que la politique étrangère allemande se faisait dans les étages des conseils d'administration des entreprises.
Alors que la France et l'UE poussent à l'instauration de droits de douane sur les voitures pour contrer économiquement la Chine, l'Allemagne s'y refuse. Avant tout pour ne pas provoquer Pékin, ce qui pourrait nuire à l'industrie automobile allemande.
Pour Macron et Von der Leyen, la venue de Xi Jinping n'aura pas apporté de victoire diplomatique, mais elle aura permis de normaliser les relations entre les deux pays et d'éviter d'augmenter les tensions. Une seule exception existe: les exportations françaises de cognac. Emmanuel Macron se réjouit que la Chine ait décidé de renoncer pour l'instant aux droits de douane sur ces produits. Xi Jinping a d'ailleurs reçu quelques bouteilles en guise de cadeau.
(Traduit et adapté par Chiara Lecca)