Peut-être vous est-il déjà arrivé, dans un moment d'égarement, de doute ou d'ennui, de vous enfiler la Constitution française. Dans ce cas, un article de loi vous aura peut-être frappé. Une phrase de quelques mots, toute simple, au large du chapitre consacré à la présidence de la République.
Simple, basique? Pas tant que ça. Car cette formulation un poil équivoque a suffi à semer le trouble chez une poignée de spécialistes. C'est le cas de l'ancien ministre de la Justice, Jean-Jacques Urvoas. En novembre 2022, alors qu'Emmanuel Macron est déjà soupçonné de vouloir dissoudre l'Assemblée pour donner un nouvel élan à son mandat, l'ex-juriste esquisse un scénario dans les pages du média L'Opinion.
«Imaginons qu'il dissolve l'Assemblée nationale, perde les élections législatives et démissionne», suppute l'ancien juriste. «Le président du Sénat assurerait alors l'intérim et une nouvelle élection serait organisée.»
En effet, pour Jean-Jacques Urvoas, la formulation de l'article 6 permet de «jouer» sur les mots. Selon lui, il est possible de considérer qu' un mandat interrompu ne compte pas comme un mandat accompli en entier. D'où la «possibilité» pour Macron de remettre le couvert en 2027.
Le juriste en veut alors pour preuve le cas de la Polynésie française. En 2022, l'ancien président Edouard Fritch est en effet autorisé à se présenter pour un troisième mandat. La loi précise pourtant explicitement qu'il est interdit d'exercer «plus de deux mandats de cinq ans successifs». Ce qui n'est pas tout à fait son cas.
Lors de son premier mandat en effet, le chef d'Etat polynésien n'a été au pouvoir que 4 ans – en succédant à son prédécesseur, qui venait de démissionner. Le Conseil d'Etat avait donc statué qu'il avait le droit de se représenter à une nouvelle et troisième reprise. Un mandat qu'il a achevé en 2023.
Dans le cas d'Emmanuel Macron, si l'hypothèse formulée par Jean-Jacques Urvoas fait les choux gras des internautes et de la presse, elle excite nettement moins les spécialistes de droit. Interrogé sur cette hypothèse par le Figaro en 2022, l'ancien secrétaire général du Conseil constitutionnel ne cache pas son agacement. «Les textes doivent toujours être lus de manière à ce qu'ils ne puissent pas être détournés de l'intention qui les a édictés.»
«Ce texte ne parle pas de la fin de ses mandats, mais de "ses mandats" tout court. Emmanuel Macron a été élu deux fois donc il ne peut pas se représenter en 2027, peu importe qu'il aille au bout de son quinquennat», renchérit un professeur de droit constitutionnel, auprès de BFMTV.
Dans tous les cas, si le président démissionnait en cours de mandat et que l'idée de se représenter en 2027 germait dans son esprit, c'est le Conseil constitutionnel qui devrait trancher.
En coulisses, on rapporte que Macron aurait déjà pesté contre la limite du nombre de mandats présidentiels consécutifs, décrétée par son prédécesseur Nicolas Sarkozy, en 2008. Lors d'une rencontre à huit-clos en 2023, l'actuel président aurait qualifié l'impossibilité de se représenter en 2027 de «funeste connerie», rappelle Europe 1.
Pendant ce temps, une source anonyme du camp Macron faisait part à Politis d'une stratégie aussi dingue que cynique: «Ce qui nous arrangerait, c’est une dissolution et un score suffisamment haut pour le RN, pour qu’on puisse mettre Le Pen à Matignon. Qu’on montre qu’elle est incompétente, comme ça on la décrédibilise pour 2027. Et elle devient inopérante. Donc plus de problème.»
De là à convaincre Emmanuel Macron de tenter cette manœuvre constitutionnelle inédite? Rien n'est moins sûr. Après la dissolution de l'Assemblée ce dimanche, les trolls se sont en tout cas vite fait de rappeler ce vieux débat de verbiage juridique sur les réseaux sociaux. «Ne pas finir son mandat pour pouvoir se présenter une 3ème fois… Pas con, ça se tente… mais dangereux…», glissait un certain Jérôme Kerviel sur X, dans la foulée de l'annonce.
Pour l'instant, une seule certitude. Si l'envie lui prend, Emmanuel Macron pourrait tout à fait envisager se représenter en 2032 pour un troisième mandat, après l'élection d'un éventuel successeur. Exactement comme la Constitution l'y autorise.