«Oui, oui, j'arrive...», maugrée un adolescent bulgare à son père qui l'appelle vivement depuis le chemin. Le garçon n’a visiblement pas lu le panneau d’avertissement. En lettres capitales, en français et en anglais, on peut y lire:
Ces dernières années, plusieurs visiteurs sont morts en tombant des falaises d’Etretat, hautes de 80 mètres. «Les gens prennent trop de risques», déplore Serge Razzi, qui répare des kayaks sur la promenade du front de mer. Sa femme Fauzia vend des glaces, son magasin donne sur les falaises. «Parfois, mon coeur s'arrête quand je vois des jeunes s'approcher trop près du vide pour se prendre en photo.»
Cela devrait désormais cesser. Fin avril, le conseil municipal de ce village de 1200 habitants a adopté un décret, affiché à l’entrée des escaliers qui mènent au sommet des falaises. Il impose une distance minimale de cinq mètres entre les visiteurs et le rebord. Certains secteurs emblématiques du site, comme la «Chambre des Demoiselles» – immortalisée à plusieurs reprises par Claude Monet –, sont désormais formellement interdits. Même chose pour la plage qui s’étend au pied des falaises de craie blanche.
Motif invoqué: les falaises sont «instables et fragiles». Un constat confirmé par Serge Razzi, qui explique que de gros blocs rocheux s’effondrent de plus en plus souvent sur la plage de galets. Il pointe du doigt le réchauffement climatique et la montée des eaux. Dans le «Trou à l’Homme», un tunnel creusé dans la falaise à hauteur de marée, des touristes se retrouvent régulièrement piégés.
Un sauvetage coûteux, surtout s’il nécessite l’envoi d’un hélicoptère. Désormais, les imprudents secourus devront s’acquitter d’une amende de 135 euros, voire des frais d’intervention pouvant grimper jusqu’à 3000 euros, selon le premier adjoint municipal Bernard Le Damany.
Cette mesure s’inscrit aussi dans une volonté de lutte contre le surtourisme. Etretat et cinq communes voisines ont ainsi recruté plusieurs agents de terrain. Ils patrouillent sur les zones à risque – au sommet des falaises dominant la Manche, mais aussi sur les plages désormais interdites. «Les parois ne sont plus sûres», insiste Bernard Le Damany, habitant de la commune depuis plus de 50 ans.
Selon les experts du GIEC, le niveau de la mer pourrait monter d’un mètre d’ici 2100 sur cette partie du littoral. La Côte d’Albâtre pourrait voir son visage complètement transformé, si les falaises commencent à se détacher comme les icebergs de l’Arctique.
La situation est encore plus alarmante dans l’ouest de la Normandie, plus plate. Les bunkers du Mur de l’Atlantique s’enfoncent dans les flots, Utah Beach et les autres plages du Débarquement de 1944 sont peu à peu englouties. Le Mont-Saint-Michel, quant à lui, s'embourbe de plus en plus dans le sable.
Pour tenter de ralentir l’érosion, les communes côtières construisent des digues de rochers, déversent des tonnes de sable sur les plages qui rétrécissent et favorisent la formation de dunes. Un travail conséquent, qui peut être réduit à néant par une seule tempête un peu forte.
Selon plusieurs études, 80 000 habitations sont menacées à l’horizon 2100 sur l’ensemble du littoral normand. Les journaux locaux font état d’un exode progressif de la population. A Quiberville-sur-Mer, entre Etretat et Dieppe, un camping a déjà été déplacé de 700 mètres à l’intérieur des terres.
Mais les falaises d’Etretat, elles, ne peuvent pas être déménagées. Là où l’accès est encore autorisé, on peut les photographier. Un jour, ces murailles naturelles ne seront plus qu'un souvenir.
Traduit et adapté de l'allemand par Tanja Maeder