Après la surprise de la remontada de la gauche au deuxième tour des élections législatives, c'est l'heure du bilan: si le Nouveau front populaire (NFP) est la première formation de France, le camp présidentiel est, quant a lui, en deuxième position. C'est tout de même le Rassemblement national (RN) qui connaît la meilleure progression et devient le premier parti du pays, devançant Renaissance, qui s'effondre de plus de 60 sièges.
Au-delà de ces chiffres, un constat: tant au deuxième, qu'au premier tour de ces législatives — et à celui des élections présidentielles de 2022—, on observe trois blocs de taille plus ou moins égale qui se partagent la part du lion: gauche, centre et droite. Une nouvelle norme pour gouverner la France, alors que le bipartisme a réglé la marche du pays depuis des décennies?
On revient sur ce deuxième tour des législatives avec Paul Cébille, chef de projet Opinion au Ministère de l'éducation nationale, ex-chargé d'études à l'Institut français d'opinion publique (IFOP) et membre de l'Observatoire de l’opinion de l'Institut Jean-Jaurès et de Sciences Po Strasbourg.
Le centre régresse, la gauche comme la droite progresse: que penser de la présence de ces trois blocs de plus ou moins même taille?
Paul Cébille: Les désistements entre le premier et le deuxième tour ont favorisé ces trois grands groupes. C'était déjà visible au premier tour, et encore plus maintenant.
Le clivage gauche-droite est-il définitivement enterré en France?
Non, il reste pertinent sur de nombreux sujets, notamment sur l'économie ou l'immigration. Ce clivage va revenir avec les sujets qui s'imposent dans l'actualité. Certains ont essayé de le dépasser, que ce soit Emmanuel Macron ou le RN, mais il reste des sujets où cette grille d'analyse s'impose.
Que penser de l'érosion du camp présidentiel et du centre du spectre politique?
Le centre politique sort perdant de ces législatives. C'est notamment dû à la stratégie des désistements pour barrer le RN. Certains députés du camp présidentiel qui auraient pu être réélus se sont mis de côté au profit de la gauche, face au RN. Cela représente beaucoup de pertes de voix entre le premier et le deuxième tour.
On lit que le RN a «perdu» lors de ce deuxième tour, mais est-ce vraiment le cas?
Tout dépend du point de vue que l'on adopte. Par rapport aux attentes du premier tour, c'est un échec. On pensait encore il y a quelques jours qu'il pourrait avoir la majorité à l'Assemblée et gouverner. Mais si on reste un peu objectif, en termes de chiffres par rapport à l'élection présidentielle de 2022, la progression est très nette, que ce soit au premier ou au deuxième tour, tant en termes de voix (près de 37%) que de sièges. Et il arrive en tête seul, alors que le NFP, c'est tout de même quatre partis.
Mais la stratégie d'unification de la gauche semble avoir fonctionné...
Oui, la gauche a gagné des voix, car elle est partie soudée. Des débats vont désormais avoir lieu en son sein, mais je pense que ce bloc va rester uni à l'Assemblée nationale. Le programme commun est là et devrait être respecté. Le Nouveau front populaire, comme la Nupes auparavant, est proche du pouvoir et pour lui, c'est le moment ou jamais de profiter un maximum de cette situation.
Emmanuel Macron a refusé la démission de son premier ministre, Gabriel Attal. Que se passe-t-il?
A priori, le président veut garder son gouvernement en place pour le moment pour garantir la stabilité politique jusqu'à ce que la nouvelle Assemblée soit en place. Les nouveaux élus ont d'ailleurs un délai d'un mois pour décider s'ils restent au Parlement ou se désistent. Il faut que le gouvernement puisse gérer les affaires courantes durant ce temps-là. Il va certainement renouveler l'équipe du gouvernement par la suite.
Et ensuite?
Si Gabriel Attal devait tout de même démissionner après cette date, on ne sait pas qui serait privilégié pour devenir premier ministre.
Il y a des enjeux économiques, financiers et la Constitution devrait faire foi. Mais le premier ministre qui sera choisi par le président devra s'assurer de ne pas avoir de majorité contre lui à l'Assemblée nationale.
Jordan Bardella est désormais exclu pour ce poste. La bonne candidature va-t-elle venir des rangs du NFP?
Il faut que ce soit une personnalité forte, mais qui ait le plus de chances de tenir à l'Assemblée. Le camp présidentiel devra faire preuve de bienveillance si c'est un candidat du NFP. Je n'y crois pas trop. En fait, je pense que ce sera certainement à nouveau un centriste, ou peut-être une personnalité de gauche, mais pas de la France insoumise (LFI), plus souple idéologiquement. Mais il faudra une personnalité qui soit validée tant par le centre que les Républicains pour pouvoir travailler efficacement.
Que penser d'une personnalité comme Raphaël Glucksmann, qui représente justement l'aile centriste de la gauche?
C'est peu probable, car il est trop clivant à l'interne.
Le Parti socialiste a doublé ses voix, une première depuis 2017. Est-il en train de ressusciter, après sept ans de déboires?
Cela prouve que toute la gauche ne s'est pas extrémisée et qu'il y a un électorat de gauche modérée qui existe encore et a bénéficié du report des voix. Comme le NFP et Renaissance se sont entraidés pour faire gagner leurs candidats au deuxième tour, cela a favorisé les candidats socialistes plutôt modérés, plutôt que des candidats LFI.
Mais la part extrémiste, du côté de LFI, reste très puissante. Sociologiquement, elle est plutôt élue dans les villes alors que le PS fait de meilleurs scores à la campagne.
La France est-elle réellement «ingouvernable», comme on l'entend beaucoup?
Ce qu'on peut dire, c'est que le scrutin majoritaire à deux tours ne fonctionne plus pour créer des majorités. La société se divise et les partis ont de plus en plus de mal à atteindre 50% au deuxième tour.
De nombreux pays européens fonctionnent à la proportionnelle et s'entendent pour gouverner plutôt que de contrôler une majorité. Cela peut paraître archaïque pour des pays qui fonctionnent avec ce système et peut-être que la France en aurait besoin. La question maintenant, c'est comment les élus vont se comporter à l'Assemblée nationale.