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Guerre contre l'Ukraine

Famille et Cervin: les rêves brisés des soldats ukrainiens

Famille et Cervin: les rêves brisés des soldats ukrainiens

L'invasion russe a bouleversé les plans de vie de nombre d'Ukrainiens engagés dans l'armée. Témoignages.
24.02.2025, 17:0024.02.2025, 17:00
Léa DAUPLE avec Maryke VERMAAK et Kseniia TOMCHYK / afp

Ils rêvaient d'ouvrir une entreprise, de fonder une famille, d'acheter un appartement ou d'escalader des montagnes. A la place, ces Ukrainiens combattent l'armée russe dans une guerre qu'ils n'ont jamais voulue. Trois ans après le début de l'invasion russe du 24 février 2022, nous avons demandé à des soldats de raconter les espoirs que le conflit leur a volés.

(Pour suivre toute l'actualité sur la guerre en Ukraine, c'est par ici.)

Mykola: «l'amour est nécessaire»

Le soldat Moroz, son nom de guerre, était chauffeur et répondait au prénom de Mykola avant sa mobilisation en 2023. Dans l'armée, il est toujours au volant, mais de véhicules militaires pour des évacuations ou des livraisons sur le front, là où «c'est chaud», dit l'homme de 30 ans. Il ne s'était jamais imaginé en uniforme et nombre de ses proches «ne pouvaient même pas y croire» quand il a été mobilisé, raconte-t-il.

«S'il n'y avait pas eu l'armée, j'aurais fondé une famille», assure le soldat au sourire doux, originaire de l'ouest du pays. Faire des enfants en pleine guerre est «un peu effrayant», juge-t-il avant de glisser que «l'amour est nécessaire».

Le soldat Ukrainien Moroz
Moroz conduit des véhicules militaires pour des évacuations ou des livraisons.Image: AFP

Pour lui, c'est quand la guerre sera finie qu'«on commencera à vivre.»

Alina: «l'envie de vengeance»

Alina, une soignante militaire de 45 ans, dit que le conflit était inévitable «avec un tel voisin».

«Mais s'il n'y avait pas eu de guerre, j'aurais eu une famille, des enfants, une maison, une vie heureuse et paisible, et une entreprise»

«Comme on dit en Ukraine, du pain avec du beurre et du caviar dessus», sourit Alina. Elle s'est engagée dans l'armée dès 2018. Car pour elle et beaucoup d'Ukrainiens, la guerre n'a pas commencé il y a trois ans, mais en 2014, lorsque Moscou a annexé la Crimée et piloté des séparatistes pro-russes armés dans l'est du pays.

Ne voyant pas la fin de la guerre venir, elle s'entraîne désormais pour devenir sniper, poste encore plus dangereux et rarement occupé par des femmes.

«J'ai 45 ans, j'ai déjà vécu ma vie. Après huit ans d'armée, tout ce qu'il me reste c'est l'envie de vengeance.»

Oleksandre: «la guerre m'a aidé»

Oleksandre prend les armes dès 2014, contre les séparatistes. A l'époque, il défend l'aéroport de Donetsk et se bat dans presque «tous les points chauds» jusqu'en 2018.

«Ensuite? J'ai pris une pause clope», dit-il d'abord en souriant. En fait, il se retrouve en prison pour un vol de voiture. Quand l'Ukraine ouvre aux détenus la possibilité de rejoindre l'armée, en 2024, il s'engage. «Me voilà ici», raconte ce soldat du bataillon d'assaut «Alkatraz».

Oleksandre s'est engagé dans l'armée en 2024.
Oleksandre s'est engagé dans l'armée en 2024. AFP

Dans sa vie rêvée, il aurait fondé une entreprise dans le bâtiment et serait papa. Il y pense encore, parfois, dit-il, mais se dit convaincu que la paix n'arrivera pas avant des années. Avec un sentiment contradictoire: «d'une certaine façon, la guerre m'a aussi aidé, parce qu'autrement je serai encore en prison».

Oleg: «gravir le Cervin»

Oleg, 33 ans, était photographe de presse jusqu'à sa mobilisation l'an passé. Il avait des ambitions professionnelles, mais aussi «sportives». Ce fan d'alpinisme aurait voulu gravir des sommets. En particulier «le Cervin», dit-il, sourire aux lèvres en évoquant la célèbre montagne suisse.

Oleg en Ukraine
Oleg a dû mettre en suspens ses envies d'alpinisme.Image: AFP

Ce rêve, Oleg l'a mis entre parenthèses d'abord après la naissance de ses deux enfants, puis à cause de la pandémie de Covid-19. «Et maintenant c'est la guerre», reprend cet officier de presse de la 24ème brigade. Patient, il se dit certain que «ça viendra».

Artem: «la guerre a tout effacé»

Quand on lui demande de décrire les rêves que l'invasion a balayés, Artem, commandant de compagnie dans la 93ème brigade, part d'un rire amer. «Tout a été reporté. Je voulais acheter un appartement. Je voulais être un père présent pour mon fils», dit l'homme de 42 ans. Pour sa vie sociale, même chose: «beaucoup d'amis ont déménagé en Europe. D'autres sont là, mais je n'ai pas l'occasion de leur parler».

Psychologue de formation travaillant dans l'humanitaire, il a rejoint l'armée dès le début de l'invasion. «Il y avait tellement d'idées, mais la guerre a tout effacé.» Même son identité d'avant-guerre est «perdue». Dès lors, il espère que la paix la lui rendra.

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