Lorsque des informations sur l'armée russe font la Une des journaux, ce sont généralement les services secrets étrangers qui en sont à l'origine. Sous le régime de Poutine, les informateurs demeurent rares. Et pour cause. Il est trop dangereux de parler de la situation, souvent désastreuse, des soldats. Dimitri Mischov, encore lieutenant d'une brigade d'aviation russe jusqu'à récemment, et désormais demandeur d'asile en Lettonie, a pris le risque de s'exprimer.
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Cet homme de 26 ans fait partie d'une poignée de soldats déserteurs qui ont profité de leur liberté nouvellement acquise dans l'Union européenne (UE) pour critiquer publiquement tant la guerre contre l'Ukraine que la situation interne à l'armée. Dans un entretien accordé à la BBC britannique, l'ancien lieutenant revient sur l'ambiance mitigée au sein des troupes russes. Selon lui, certains soldats soutiennent la guerre, mais peu d'entre eux pensent qu'il s'agit de protéger la Russie d'un réel danger.
Depuis l'invasion de l'Ukraine en février 2022, Moscou justifie la guerre comme une attaque préventive de libération à l'encontre d'un gouvernement du pays voisin prétendument infiltré par des néonazis. Dimitri Mischov n'en croit pas un mot:
Selon ce dernier, des avis différents cohabitent au sein de l'armée russe vis-à-vis de l'Ukraine. Reste que la propagande du gouvernement et du commandement militaire s'affaiblit toujours plus. Plus personne ne croit les rapports officiels relatant des succès au front et le nombre prétendument faible de victimes dans leurs propres rangs.
Alors que le ministre russe de la Défense Sergueï Choïgou parlait, en septembre 2023, d'environ 6000 morts, le Pentagone américain estimait déjà à l'époque un nombre élevé à 80 000 morts. Un document divulgué des services secrets américains datant d'avril 2023 estime entre-temps le nombre de soldats russes tués à 223 000.
Les pertes sont particulièrement élevées dans les escadrons d'aviation, selon Dimitri Mischov. Ce que confirme une enquête de la BBC. L'armée russe a perdu des centaines de membres des forces spéciales au sein de son armée de l'air. Un problème majeur compte tenu de la formation complexe et coûteuse des nouvelles recrues. «Ils pourront toujours remplacer les hélicoptères, mais il manque des pilotes», explique Dimitri Mischov, qui a lui-même piloté des hélicoptères de combat.
Il estime que la Russie a déjà perdu plus de 330 hélicoptères au cours de la première année de sa guerre contre l'Ukraine, soit autant que l'Union soviétique lors de sa guerre en Afghanistan de 1979 à 1989.
Pour Dimitri Mischov, ce sont surtout les salaires injustes qui suscitent un grand mécontentement parmi les soldats. Selon lui, les officiers expérimentés de l'armée de l'air continuent de recevoir le même salaire qu'avant le début de la guerre, c'est-à-dire au maximum 90 000 roubles par mois, soit environ 1016 euros.
Pendant ce temps, en pleine campagne de recrutement, les nouvelles recrues se verraient proposer une solde d'environ 204 000 roubles par mois, soit environ 2300 euros. Selon le Moscow times, les nouvelles recrues recevraient des primes pour les armes et équipements détruits ou repris à l'adversaire.
Les services secrets et les médias étrangers ne cessent de rapporter que le commandement militaire russe est confronté à un manque croissant de personnel. Des sources russes anonymes avaient confirmé en avril au magazine économique Bloomberg que le commandement militaire souhaitait recruter cette année environ 400 000 nouveaux soldats.
Dimitri Mischov n'était pas en mission en Ukraine avant sa fuite. Dès le début de la guerre, il a été envoyé en Biélorussie pour y transporter du matériel militaire par hélicoptère. En septembre, la mobilisation partielle dans tout le pays a suivi, rendant ainsi impossible sa libération dans la vie civile.
Après avoir été appelé en mission au début de cette année, il aurait tenté de se suicider. Cette tentative de suicide n'aurait pas convaincu le commandement militaire de le laisser partir. Le lieutenant a donc décidé de s'enfuir:
Mais son plan a réussi. «J'ai enfin pu respirer à nouveau.» Il ne sait pas encore si sa demande d'asile en Lettonie sera acceptée. Il veut en tout cas tenter un nouveau départ en Europe.