Le chancelier allemand Olaf Scholz, désormais en fin de mandat, a toujours refusé d'envoyer des missiles de croisière Taurus en Ukraine. Cependant, dans quelques semaines, il sera potentiellement remplacé par Friedrich Merz, chef de la CDU, qui adopte une position bien différente.
👉 Suivez en direct la guerre contre l'Ukraine 👈
Cela fait plus de deux ans que Kiev cherche à obtenir ce missile de haute technologie germano-suédois. Une demande compréhensible: cette arme, conçue pour être lancée depuis les airs, pourrait servir à viser des cibles comme le pont de Kertch, construit illégalement entre la Crimée et le territoire russe.
De quoi permettre à l’Ukraine de «prendre enfin l’ascendant sur la situation». Elle pourrait, par exemple, «détruire la principale liaison terrestre entre la Russie et la Crimée», souligne Friedrich Merz. Selon lui, «la majeure partie du ravitaillement militaire de l’armée russe» transite par la péninsule ukrainienne de Crimée, annexée par Moscou. Par ailleurs, les lignes d’approvisionnement et les dépôts d’armes russes pourraient être plus facilement ciblés.
Malgré des attaques répétées, l’armée ukrainienne n’est jusqu’à présent pas parvenue à détruire ou à endommager de manière significative le pont de Kertch. Même les missiles de croisière Scalp EG et Storm Shadow, fournis par la France et le Royaume-Uni, semblent insuffisants face à un tel objectif. Le modèle germano-suédois Taurus, bien qu’étroitement lié à ces armes, présente des atouts décisifs lorsqu’il s’agit de frapper des cibles situées loin derrière les lignes ennemies et lourdement défendues.
Il y a d’abord la question de la portée. La France et le Royaume-Uni ont livré à l’Ukraine une version de leurs missiles de croisière, dont la portée est limitée à 300 kilomètres. Le Taurus, selon son fabricant, peut en revanche parcourir au moins 500 kilomètres. Un avantage décisif pour une attaque ukrainienne contre le pont de Kertch, situé à près de 500 kilomètres à vol d’oiseau des territoires encore sous contrôle ukrainien.
Cette plus grande portée offre par ailleurs un autre avantage. Contrairement aux missiles balistiques, tirés depuis le sol et qui atteignent leur cible selon une trajectoire en arc, les missiles de croisière comme le Taurus peuvent suivre des itinéraires complexes. Ce projectile de cinq mètres de long et pesant près de 1,4 tonne peut être programmé pour voler à seulement quelques mètres du sol, en s’orientant à l’aide de repères topographiques.
Cela complique considérablement la tâche des défenses antiaériennes ennemies, qui peinent à le détecter et à l’intercepter. Peu avant l’impact, le Taurus prend de l’altitude pour frapper sa cible à un angle précis, à plus de 1000 km/h.
Portée, manœuvrabilité et vitesse ne sont toutefois pas les seuls atouts qui font du Taurus une arme redoutable contre les ponts. Le missile peut emporter près de 500 kilos d’explosifs, répartis dans une ogive tandem capable de provoquer une double détonation à l’impact. La première explosion perce un trou dans la structure visée, permettant ensuite à une charge perforante d’y pénétrer. La charge perforante est un projectile lourd d'environ deux mètres de long, rempli d'explosifs. Le moment exact de sa détonation peut être programmé à l’avance avec une grande précision.
Sa double ogive fait du Taurus l'arme idéale pour des attaques contre des bunkers souterrains ou des structures massives comme le pont de Kertch. Lors d'un impact, la première charge explosive du missile traverserait la chaussée du pont, ouvrant ainsi la voie à la charge perforante qui pourrait atteindre le pilier du pont. La Russie a démontré qu'elle pouvait réparer rapidement les dommages sur la chaussée et les voies ferrées du pont. En revanche, un coup direct contre les piliers porteurs pourrait endommager le pont de Kertch de manière suffisamment grave pour qu'il devienne inutilisable comme route d'approvisionnement pour les troupes de Poutine.
Le système Taurus pourrait également être utilisé contre des postes de commandement et des dépôts de munitions russes bien protégés. L'Ukraine pourrait ainsi infliger des dommages considérables aux lignes d'approvisionnement des troupes d'invasion de Poutine.
Depuis le printemps, l'armée ukrainienne attaque régulièrement des cibles russes avec les missiles Scalp EG et Storm Shadow, mais les stocks de ces missiles sont limités. Il est difficile de savoir combien de missiles la France et le Royaume-Uni ont livrés à l'Ukraine, mais cela ne devrait pas dépasser quelques dizaines. Le Taurus, en provenance d'Allemagne, pourrait garantir que Kiev puisse continuer à frapper, à grande distance, des postes de commandement, des bunkers et des dépôts de munitions de l'armée russe, loin derrière la ligne de front.
Après la mise en service du Taurus en 2005, l'armée allemande a commandé 600 exemplaires pour un prix total de 570 millions d'euros. Chaque système coûte donc près d'un million d'euros à l'achat. Cependant, il semble que tous les 600 Taurus allemands ne soient pas opérationnels. Selon des sources au sein de l'armée, environ 150 unités sont actuellement disponibles. Difficile de savoir ce qu'il advient des 450 autres missiles.
Il est également incertain comment le Taurus pourrait être intégré à l'aviation ukrainienne, qui utilise des avions de chasse datant de l'époque soviétique. Cependant, les ingénieurs militaires ukrainiens ont déjà démontré que des armes modernes de fabrication occidentale, comme les Scalp EG et Storm Shadow, peuvent être lancées à partir de vieux avions de chasse MiG.
En plus de l’armée allemande, les armées d'Espagne et de Corée du Sud disposent également de ce missile, fabriqué à Schrobenhausen, en Bavière. Néanmoins, pour transférer cette arme à l'Ukraine, une autorisation d'exportation de l'Allemagne serait nécessaire.
Traduit et adapté par Noëline Flippe